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Les critiques de Bifrost

Le Mur de Planck - tome I

Christophe CARPENTIER
P.O.L.
576pp - 22,90 €

Critique parue en avril 2016 dans Bifrost n° 82

Des atomes pensants, capables de se métamorphoser en n’importe quel être vivant, châtiant les mauvaises actions en plongeant leurs auteurs dans un état de prostration perpétuelle. Une invasion planétaire invisible, une stratégie de pacification de l’humanité conduite comme une offensive, contre la méchanceté et l’instinct de prédation, contre la pensée déviante, et bientôt contre l’inconscient, les rêves, les émotions trop vives. Partout, des populations frappées d’hébétude, réduites à l’état d’inoffensifs zombies. Mais aussi une traversée de la galaxie et du temps, une exploration des dimensions parallèles. Et puis ces insectes extraterrestres belliqueux, ces robots, ces monstres géants évoquant un genre de SF apocalyptique appartenant à la préhistoire, qui s’affichent en désaveu de la prémisse high-tech et comme aveu du va-et-vient incessant que Christophe Carpentier cultive entre passé et présent, résidus de mythologie et fragments de modernité. Certes, Le Mur de Planck bouffe à tous les râteliers, c’est sans doute sa raison d’être : comédie d’anticipation tantôt métaphysique, tantôt potache, recyclant aussi bien l’esprit du polar, les revues de vulgarisation scientifique, les fondations de la SF (Frankenstein dépassé par sa création…), les séries télé à la mode et le cinéma bis, ce livre tranche avec le reste de la production hexagonale, tels certains opus d’un certain M. G. Dantec.

Aussi insidieux mais plus cruels et plus caustiques que les profanateurs de Jack Finney, les envahisseurs de Christophe Carpentier, autrement nommés « particules baryoniques », semblent d’abord n’avoir d’autre but que de prendre en otage le destin des êtres qui les ont créés et de neutraliser parmi eux le maximum de nuisibles, présidents russe et syrien en tête… Entreprise de nettoyage du plus haut comique (même le président d’Amazon y passe), justice immanente vengeresse, foutoir dans les familles, bordel monstre partout dans la société, irréalisme libérateur. Tout le livre est une histoire de frontières : limites à ne pas franchir ou au contraire à dépasser pour les protagonistes, mixage de genres différents et d’aspirations contradictoires pour l’auteur, qui campe sur son monde un point de vue d’ado, espérant toujours qu’une force supérieure – petits hommes verts aux yeux globuleux ou intelligences angéliques – viendra modifier le cours mortel de la condition humaine (cette vieillerie).

Malgré la densité du livre et l’ampleur des thèmes brassés, Le Mur de Planck – à l’inverse proportion de ce que son titre annonce – ne se livre à aucune révélation, aucune extrapolation sur l’origine de l’univers, Carpentier affirmant la suprématie du questionnement et du romanesque sur la découverte d’une hypothétique cause non causée. L’emphase (parfois boursouflée) de la prose, l’inaction érigée en principe actif et une intrigue en roue libre (je ne résiste pas à citer ce passage p. 556 qui vaut profession de foi : « Disons que j’improvise, mon vieux, j’improvise au mieux, et je dois dire que ce n’est pas évident. ») suffisent à installer la singularité de l’auteur. Lequel bosse également à démonter les fantasmes foireux de notre civilisation hyper connectée, son goût du voyeurisme, de la vitesse et du bruit où tout acte, toute parole authentique est désormais impossible à cerner, son besoin d’ennemi mondial et de catastrophes pour se peupler l’imaginaire. Mais en bousillant, de manière ironique, l’espoir d’un outre-monde qui nous sortirait de notre microcosme vicié, Carpentier oblige tout le monde à ne puiser qu’en soi-même. Ce qui est bien plus difficile.

Critique de la suite, Le Temps imaginaire.

Sam LERMITE

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