A l’évidence, la mode est aux récits mainstream prenant pour cadre un postulat propre à la littérature de genre (fantastique, voire fantasy, pourquoi pas, même si, le plus souvent, il s’agit de SF, ou disons plutôt d’anticipation, et plus spécialement d’environnements post ou pré apocalyptiques — on pense par exemple à Laura Kasischke, T. C. Boyle, Craig Davidson, voire le Will McIntosh de Soft Apocalypse — roman à paraître en France au Fleuve Noir —, ou bien encore à Ron Currie Jr., pour citer un auteur évoqué dans la rubrique critique du présent Bifrost). Sans doute La Route, best-seller de l’immense Cormac McCarthy, n’est-il pas pour rien dans ce phénomène ; de même que l’ambiance mondiale aussi délétère que plombante. Il en va un peu différemment avec Joyce Carol Oates. En effet, quand cette dernière décide de jouer la carte du genre (quel qu’il soit), le genre en question ne se limite pas au contexte, à un postulat impactant les réactions des protagonistes, exacerbant leur caractère, mais imprègne jusqu’à la trame même du récit, jusqu’au cœur des personnages, le tout sans rechigner à quelques figures obligatoires. En cela, Oates est sans doute plus proche d’écrivains comme Margaret Atwood, Michael Chabon ou même Justin Cronin, auteurs qui, bien qu’on ne trouve leurs œuvres que dans les rayons dits de littérature générale, n’en produisent pas moins des textes qui procèdent de la littérature de genre à cent pour cent. Ainsi en va-t-il de ce Musée du Dr. Moses, recueil de dix nouvelles dont les sources de publication initiale s’avèrent à ce sujet sans ambiguïté aucune (Alfred Hitchcock’s Mystery Magazine, Ellery Queen’s Mystery Magazine, The Magazine of Fantasy and Science Fiction, The Year’s Best Fantasy & Horror, etc.).
Joyce Carol Oates (née en 1938, rappelons-le) est un immense écrivain. Lauréate du National Book Award, du Prix Fémina (pour Les Chutes, Points), mais aussi, dans les domaines qui nous occupent, de trois Bram Stoker Awards et du World Fantasy Award en 2011, elle fait partie de ce genre d’écrivain régulièrement pressenti comme nobélisable… Rien de moins. Et en termes de genre, sa préférence va incontestablement vers l’horreur, mâtinée, ou pas, de fantastique. Comme en témoigne une fois encore le présent recueil, qui propose un panel de textes s’échelonnant du bizarre (« Salut ! Comment va ! », récit constitué d’une seule et unique phrase) au glauque sordide (« Gage d’amour, canicule de juillet », ou « Surveillance antisuicide ») en passant par l’horreur pure et simple (à ce titre, le texte éponyme de l’ouvrage fonctionne de manière remarquable), voire un fantastique plus classique (« Fauve » ; « Les Jumeaux : un mystère »). Un cabinet de curiosité typiquement oatesien, en somme, même s’il ne s’agit pas ici du meilleur cru de notre auteure (étant entendu qu’un texte moyen de Oates demeure quoi qu’il arrive une gourmandise acide des plus incontournables) ; on ne peut s’empêcher de regretter l’absence d’une véritable claque, un texte qui justifierait à lui seul l’achat de l’ouvrage. Demeure un recueil écrit par Oates, un livre à lire, donc, et une entrée en matière toute trouvée pour qui ne connaîtrait pas encore l’auteur de Délicieuses pourritures.