José Carlos SOMOZA
ACTES SUD
23,00 €
Critique parue en avril 2018 dans Bifrost n° 90
Dans la série « les discussions imaginaires de Bifrost » : l’écrivain espagnol José Carlos Somoza et Pépito, son ami de longue date. La scène se déroule dans le bar-tabac madrilène Mucho Busto. Tout le monde sirote de la manzana verde.
[Pepito:] Tu as fini ton nouveau roman ?
[José Carlos Somoza :] Tout juste. Ça commence avec trois mystères inexpliqués : la disparition des cent trente colons de Roanoke en 1590, la désertion totale du village inuit d’Angikuni en 1930 et l’énigme de la Mary Celeste.
[Pepito, tout excité:] Tout ça va être expliqué ?
[José Carlos Somoza, évasif :] C’est très visuel : à un moment l’héroïne se masturbe, il y a une attaque de zombies vivants couverts d’insectes, un hélicoptère qui survole Madrid en plein chaos, une scène de vestiaires avec une flic à forte poitrine, une scène à suspense, de nuit, dans un hôpital psychiatrique, des dialogues au scalpel, façon Alerte à Malibu. Une alternance de scènes intimes très tendues et de grand spectacle.
[Pepito, nettement moins excité:] Des zombies à Madrid ? On dirait un peu [Rec], non ?
[José Carlos Somoza, d’une profondeur de tombe:] Non, car ils sont couverts d’insectes et ça fait toute la différence. Tu vois le problème de mes précédents romans, c’est qu’il fallait un cerveau pour les lire. Là, les deux yeux suffisent. C’est faussement intellectuel.
[Pepito, qui enjambe allégrement le seuil de l’insolence :] Et évidemment ça n’a aucun rapport avec le fait qu’aucun de tes romans n’a jamais été adapté au cinéma ?
Le portable de Somoza sonne : le leitmotiv métallique de Terminator.
[José Carlos Somoza :] Il faut que je te laisse, Pepito, c’est Besson. Il veut acheter les droits. [L’écrivain écoute le producteur, très attentif, puis s’enflamme :] Yes, you’re a fuckin’ genius !
[Somoza couvre le micro de son portable :] Il verrait bien Paz de la Huerta dans le rôle principal. Et me demande s’il peut remplacer les hélicoptères par des BMW et le peintre bisexuel cultivé par Jason Statham. Ça va être hénaurme !
Le conseil de Gandalf : « Fuyez, pauvres fous ! » ; celui de Bifrost : « Si l’idée centrale du roman est assez fascinante, son traitement (façon mauvaise série télé) reste affligeant de bout en bout. Du même auteur, lisez La Théorie des cordes critiqué dans notre n°46. »