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Les critiques de Bifrost

Le Mystère de l'inquisiteur Eymerich

Le Mystère de l'inquisiteur Eymerich

Valerio EVANGELISTI
RIVAGES
302pp - 20,00 €

Bifrost n° 16

Critique parue en décembre 1999 dans Bifrost n° 16

Cette fois, c'est en Sardaigne que le terrible inquisiteur va exercer ses talents. Il accompagne en effet le roi d'Espagne, venu à la tête d'une expédition militaire pour mettre fin à un culte païen dont les adeptes possèdent, semble-t-il, le pouvoir de guérir les malades, y compris les plus graves. Mais pourquoi les ruisseaux et torrents de l'île se mettent-ils à heure fixe à grouiller d'amibes et autres parasites rendant leur eau impropre à la consommation ? Ailleurs, prisonnier d'une cellule surréaliste située en un lieu indéterminé, Wilhelm Reich vit d'hallucinantes entrevues avec un Eymerich qui semble bien décidé à le psychanalyser. Ailleurs encore, dans un futur proche consécutif à l'effondrement des Etats-Unis causé par l'anémie falciforme, des jeunes gens originaires des différentes — et peu sympathiques — nations qui se partagent désormais le territoire nord-américain se retrouvent, pour punition, envoyés au mystérieux Lazaret… Enfin, certains chapitres content les épisodes cruciaux de la vie de Reich, dont les hypothèses sur les bions et l'énergie orgonique constituent la base même du roman.

 À la lecture du résumé ci-dessus, pas besoin d'être un habitué de la série pour comprendre que Le Mystère de l'inquisiteur Eymerich nage en plein délire. Aux psytrons et aux cathares mutants gavés de colchique ont « simplement » succédé les orgones. Continuant sa tournée des théories scientifiques alternatives, Evangelisti se retrouve à chasser, métaphoriquement parlant, sur les terres d'Arthur Koestler, lui aussi grand spécialiste des marges et marginaux de la science. Le tragique destin de Reich, persécuté par les nazis puis par la justice états-unienne — qui aura finalement sa peau — , n'est pas sans rappeler celui du malheureux Paul Kammerer, un biologiste autrichien dont les travaux, parce qu'ils semblaient confirmer les théories de Lamarck sur l'hérédité des caractères acquis, lui valurent d'être traîné dans la boue par la communauté scientifique internationale (L'Étreinte du crapaud — Calmann-Lévy). Dans les deux cas, on assiste à un acharnement dont les motifs relèvent plus de la politique — à tous les sens du terme — que de la science, et c'est la nature de cet acharnement que dénoncent Evangelisti et Koestler dans leurs ouvrages respectifs. L'un des personnages de la partie « biographique », lorsqu'on lui demande s'il croit aux théories de Reich, joue sans doute les porte-parole de l'auteur quand il répond : « Je ne puis vous dire si cette énergie existe ou pas. Je n'ai pas la compétence nécessaire, et puis la chose ne m'intéresse pas beaucoup. Mais ce n'est sûrement pas un 'expert' judiciaire inconnu qui peut juger de décennies de travail, d'essais, d'expérimentations. » Toutes les époques possèdent leurs inquisiteurs.

Il paraît clair que ce quatrième volume des aventures d'Eymerich marque une étape importante dans la série. Plus long, plus complexe, il a en outre le mérite de commencer à dévoiler le projet global d'Evangelisti. Le lecteur français est d'ailleurs considérablement avantagé sur le lecteur transalpin, puisqu'il a déjà pu lire dans Galaxies la novella « Metallica », parue en Italie bien après Le Mystère… alors qu'elle se situe chronologiquement entre Le Corps et le sang et le présent roman, dont elle met d'ailleurs en scène l'un des personnages. Le schéma général de l'histoire du futur « évangélique » se met en place, et il est frappant de constater combien cet avenir dystopique plonge ses racines dans le passé, et plus précisément à l'époque d'Eymerich. Certes, ce lien est avant tout une commodité littéraire, mais il est probable qu'il possède un sens que les prochains volumes finiront peut-être par dévoiler. Et pour ceux qui ignorent encore tout du redoutable dominicain, cette histoire d'horreur aux accents quasiment lovecraftiens constitue une excellente entrée en matière, puisqu'il s'agit du meilleur titre de la série traduit à ce jour.

Roland C. WAGNER

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