Anna MATVEEVA
PRESSES DE LA CITÉ
318pp - 21,00 €
Critique parue en janvier 2016 dans Bifrost n° 81
En février 1959, dans l’Oural, neuf jeunes gens bien entraînés, sept garçons et deux filles, partaient pour une randonnée sportive vers le Kholat-Siaskhyl , le mont des cadavres dans la langue mansi, l’ancien peuple autochtone. Ils ne reviendront jamais. On les retrouvera morts, certains gelés, d’autres ayant subi des coups, éparpillés hors de leur tente lacérée. Aucun ne portait ses chaussures.
C’était l’époque de Khrouchtchev, un moment de respiration après la mort de Staline. Mais aussi l’époque des escadrons de la mort à la recherche des zeks évadés, l’époque des tests de fusées et d’armes nucléaires. Une époque de secrets. L’enquête n’a permis aucune conclusion définitive, les parents des disparus ont dû se battre pour accéder aux quelques informations qu’on voulait bien leur donner.
Sur ces faits réels passionnants, Anna Matveeva construit un roman très bancal. Son héroïne et double fictionnel vit comme l’auteur, en 1999 à Sverdlovsk/Iekaterinenbourg, la ville d’où était originaire le groupe Dyatlov, et se retrouve par un hasard un peu fantastique à lire une pile de vieux documents sur le groupe. Ce procédé, de mêler enquête réelle et fiction, est assez élégant en ce qu’il permet de construire une relation émotionnelle avec les faits. Malheureusement la fiction, si elle nous donne une vision intéressante de la vie en Russie à la fin des années 90, est globalement très mal écrite, mal ficelée et sans intérêt. Toutes les pistes intéressantes (la vision du premier chapitre, la relation aux voisins bizarres…) sont abandonnées, et le style est au mieux plat.
On s’en moque un peu, car l’auteur cite et commente de nombreux documents réels (près de la moitié du livre, en fait), reproduits dans une police de caractère spécifique, qui permettent au lecteur de disposer de tous les éléments et de se faire sa propre opinion quant à l’explication du mystère. Prisonniers en fuite ? Avalanche ? Accident militaire ? Opération de nettoyage ? (Créature indicible ?)
Rien ne colle parfaitement, on ne saura jamais. Mais le temps de ce (court) documentaire, on sera replongé dans un monde tout aussi étrange pour la narratrice que pour nous, lecteurs français : l’Union Soviétique des années 1950, ses étudiants, ses sportifs, ses chansons, ses carnets de randonnée. Le plongeon dans le passé et le beau mystère valent quand même le coup d’œil. On songe en rêvant à ce qu’une romancière plus rigoureuse et plus chevronnée pourrait faire d’une pareille histoire.