David ZINDELL
POCKET
800pp - 11,90 €
Critique parue en mai 2006 dans Bifrost n° 42
Oui, c'est de la fantasy. Oui, c'est une trilogie. (Vieille musique…) On ne change pas les recettes qui gagnent, y compris dans la facture de l'histoire… enfin, surtout quand on veut réussir son roman. C'est exactement ce qu'a fait David Zindell pour Le Neuvième Royaume, et ça a parfaitement marché : voici une œuvre qui ne révolutionne pas le genre mais remplit son contrat.
On reprend, dans l'ordre : un royaume médiéval ; un jeune prince atypique atteint d'un mal particulier (une empathie quasi totale) aggravé par un poison sans antidote ; la quête d'un truc qui ressemble au Graal (la Pierre de Lumière) ; une prophétie ; des compagnons d'aventure. Et c'est parti pour 500 pages.
Vous avez la trame. Voici maintenant le détail, ou plutôt la déclinaison de Zindell sur ce thème quête/prophétie/le monde est dans la merde mais tout n'est pas perdu. Valashu Elahad est le dernier des sept fils du roi de Mesh. Il est aussi le seul d'entre eux à ne pas trouver plaisir à ces divertissements bien sympathiques que sont la guerre ou la chasse, et pour cause : il ressent les émotions de tous ceux qui l'entourent. Un jour, à la chasse, justement, lui et son frère sont attaqués par deux envoyés des Prêtres Rouges, une secte au service de Morjin, le Seigneur des Mensonges. Une flèche enduite de kirax l'atteint. Ce poison, sans antidote connu, augmente la perception des sentiments des autres et peut se révéler mortel. Pour Val, la dose absorbée démultiplie son empathie naturelle. Tuer lui devient donc presque impossible. Le même jour, lors du banquet, alors que son père vient de refuser une guerre que réclame le peuple voisin histoire de récupérer un morceau de montagne, un envoyé du roi Kiritan rapporte qu'une prophétesse aurait prophétisé (normal !) que la Pierre de Lumière — volée et cachée depuis des lustres — serait retrouvée et, avec elle, la paix sur le royaume. En conséquence de quoi, Kiritan demande aux chevaliers de se bouger, de seller leurs chevaux et d'aller fissa quêter la fameuse Pierre. Valashu s'empresse d'accepter. Il part sur les routes, accompagné de son ami Maram, un élève prêtre qui se destine à la poésie, et de Maître Juwain, qui appartient également à la Confrérie. Ce seront les deux premiers compagnons du groupe.
Les nombreuses péripéties qui émaillent le voyage jusqu'à Tria, où le roi doit bénir les chevaliers, permettent aux trois larrons de s'adjoindre Atara, une guerrière de la société des Manslayers, qui est également princesse de sang royal (dingue, non ?), puis de Kane, redoutable guerrier et personnage aux motivations mystérieuses.
Tout au long de cette première étape, le Dragon Rouge, Morjin, ne cesse de hanter Valashu, de le tenter pour le convertir, tout en lui envoyant ses tueurs aux trousses, les Visages Gris. Le groupe doit en outre traverser des forêts gorgées de créatures perverties par le démiurge fou.
C'est arrivés à Tria que nos aventuriers trouveront leurs deux derniers compagnons : le ménestrel Alphanderry et l'ancienne goûteuse du roi, Liljana, aux dons télépathiques. Une fois partis, ils trouveront une par une les gelstei, ou pierres de pouvoir…
Il serait impossible de résumer les péripéties du récit, tant elles sont nombreuses. On se contentera donc de souligner combien l'auteur équilibre à merveille les scènes d'action et les pauses permettant l'insertion de récits historiques ou mythiques. Sur ce point, c'est Maître Juwain qui intervient régulièrement pour instruire ses compagnons, donnant ainsi du corps tant au passé du pays qu'aux mythes qui sous-tendent la quête. Ces interventions répétées permettent de « justifier » la prophétie, la foi dans les gelstei, bref, dans la magie. Disons que tout est là pour « suspendre notre incrédulité » et donner sens à la dimension mythique de l'histoire, sans toutefois alourdir cette dernière.
La composition du groupe est elle aussi finement gérée, chaque personnage occupant une place réelle dans la gestion du récit. Atara est bien sûr là pour la dimension amoureuse, tandis que Maram, épicurien et couard, prend en charge l'humour, conférant au texte une dimension plus légère et souvent bien venue, dimension qui participe d'ailleurs largement au réalisme des échanges et à la crédibilité des personnages, tous particulièrement réussis sur le plan psychologique. Leurs personnalités et les dialogues sont des éléments clés de la réussite de Zindell, qui sait rendre convaincant le fonctionnement humain du groupe.
Certes, on pourrait craindre de ne trouver dans Le Neuvième Royaume qu'une pâle resucée d'une histoire éculée, du style « j'ai lu Tolkien et tout le cycle arthurien, alors je vais faire pareil ». Certes, l'originalité n'est pas de mise. Mais quoi ? Voici un livre passionnant, qui tient le lecteur en haleine malgré une longueur respectable, qui tombe parfois, évidemment, un peu dans les longueurs — mais rien de rédhibitoire, loin s'en faut. C'est déjà pas si mal.
En définitive, le seul vrai reproche à faire n'incombe pas à l'auteur. Car si le livre est doté d'une fort belle couverture, le texte est en revanche maquetté au chausse-pied, comme si l'éditeur avait tassé le tapuscrit pour le faire rentrer dans 450 pages, pas une de plus. Du coup, côté lisibilité, on repassera… Reste que le bouquin en lui-même est un bel objet, pour une belle histoire dont on attend la suite.