L’intrigue se déroule dans une petite maison médicalisée de Saint Sebastian, avec pour protagonistes l’ensemble des pensionnaires : Anna Chernov, ancienne danseuse étoile au chevet de laquelle Bob Donovan se présente chaque jour, a dans le coffre de l’établissement un collier d’une valeur inestimable ayant appartenu à un tsar, lequel collier fait fantasmer Evelyn Krenchnoted, l’intraitable curieuse à l’affût du moindre ragot. Gina Martinelli ne jure que par le Seigneur ; Erin Bass est une ancienne hippie adepte de spiritualité hindoue ; madame Lopez se fait exploiter par sa fille ; Al Cosmano trouve à redire sur tout, et d’autres encore…
Bien qu’âgé de 90 ans, Henry Erdmann, qui fut jadis l’un des acteurs du projet Manhattan, continue de dispenser des cours de physique à des étudiants en prépa. Carrie Vesey, la belle aide-soignante qui le conduit et le ramène, arbore un matin un cocard qui met le vieil homme en colère. Son ancien compagnon, un policier violent, l’a retrouvée malgré l’interdiction de l’approcher… Au retour de l’université, le Dr Erdmann connaît un moment d’absence en raison de ce qui ressemble à une intrusion mentale. En quête d’un médecin, Carrie, inquiète, tombe sur Jake DiBella, un chercheur en neurosciences venu étudier le cerveau des personnes âgées. Contre toute attente, le Dr Erdmann accepte de passer une IRM…
Ce qui ressemble à une aimable chronique sociale sur l’infantilisation des personnes âgées et le peu d’attention qu’on leur accorde, sur la hantise du handicap, de l’impotence et la perspective de la mort, prend une tout autre tournure lorsque d’autres pensionnaires éprouvent à leur tour des attaques similaires, d’intensité variable. L’émoi est à son comble lorsque tous sont pris de vomissements – attribués à tort à une intoxication alimentaire, alors qu’en aparté, ils avouent avoir perçu des flashes de lumière ou senti une présence dans leur esprit.
Le Dr Erdmann, qui connaît des crises plus violentes que les précédentes, décide de jouer les enquêteurs, ravi de pouvoir une fois de plus exercer ses facultés intellectuelles : lui qui a besoin d’un déambulateur pour se déplacer redoute davantage la perte de ses fonctions mentales que celle de ses capacités physiques…
Il n’est pas le seul à investiguer, car une suspicion de meurtre pesant sur Carrie pousse deux policiers à enquêter sur place, alors même que le coffre de l’établissement est forcé. Henry Erdmann en est pour sa part persuadé : quelque chose approche, quelque chose qui vient pour lui et s’immisce dans l’esprit des pensionnaires. Pour tous se présentera alors l’heure du choix, l’occasion de peut-être favoriser la naissance d’une conscience et, qui sait, de prolonger leur vie…
La conduite d’un aussi grand nombre de personnages aurait pu déboucher sur un récit bien plus ample, mais Nancy Kress gère son déroulement avec une belle économie de moyens. Malgré l’évocation de questions de physique, elle ne s’attarde pas non plus sur des explications pesantes. Le personnage d’Erdmann est un démarquage réussi de Feynman (bien que Nancy Kress lui fait dire n’avoir pas aimé travailler avec pareil « farceur ») : en effet ce dernier, qui aurait eu le même âge à la date de rédaction du récit, adorait résoudre des énigmes en apparence insolubles et pratiquait le même type d’humour. Le court roman se lit d’une traite, sans heurt ni temps mort. Un agréable récit, récompensé par le prix Hugo en 2009, qui inaugure en beauté la nouvelle collection « Une heure-lumière » auprès de Vernor Vinge, Paul J. McAuley et Thomas Day.