À plus de quatre-vingt-dix ans, Henry Erdmann enseigne toujours la physique à quelques étudiants. Si son corps accuse les ans et l’oblige à se déplacer avec un déambulateur, son esprit reste vif. Son intelligence lui a d’ailleurs valu de travailler sur la mise au point des bombes nucléaires américaines dans les années 50. Résident d’une maison de retraite médicalisée, il est accompagné à l’université par Carrie, une aide-soignante attentionnée, au physique et à l’estime de soi bien abîmés par les coups répétés de Jim, son ex-compagnon, un policier incapable de respecter l’injonction qui lui interdit de s’approcher d’elle. Un matin, dans sa salle de bain, Erdmann ressent un malaise qu’il perçoit comme une onde de choc cérébrale. Plus tard, au retour de l’université, le trouble se répète, plus puissant. Le vieil homme craint une attaque mais le phénomène touche aussi les autres résidents, simultanément. Pire, il semble que les désirs les plus inavouables de chacun se réalisent au moment de ces incidents inexpliqués : l’ex de Carrie meurt d’une crise cardiaque, le coffre fort de la maison de retraite s’ouvre, exposant aux yeux de tous un collier, objet de tous les fantasmes, offert par le tsar à une résidente… Avec l’aide de Carrie, d’un chercheur en neurosciences et de deux policiers missionnés pour enquêter sur la mort de Jim et l’effraction du coffre, Erdmann tente d’échafauder des hypothèses plausibles pour expliquer la situation. En parallèle, Nancy Kress introduit un second arc narratif avec un vaisseau fendant l’espace-temps dans l’urgence, inquiet de ne pas arriver à temps pour aider une entité sur le point de naître… Le lecteur, au fait de cette seconde ligne narrative, comprend l’explication bien avant les personnages : l’apparition d’une conscience collective vient perturber les personnes âgées. Cette connivence avec le lecteur laisse penser que cette évolution vers une forme de gestalt ne constitue pas le cœur du texte. Celui-ci sert de vecteur à Nancy Kress pour explorer les relations humaines par le prisme d’un microcosme d’hommes et de femmes reliés par une promiscuité imposée, la déliquescence du corps et de l’esprit et de la conscience aiguë de leur mortalité. Malgré un format court (une centaine de pages), l’auteure parvient à donner de l’épaisseur à ses personnages par le truchement de souvenirs, d’obsessions ou la diversité des caractères. Prix Hugo en 2009, Le Nexus du Docteur Erdmann relève d’une science-fiction sociale (et pose la question de la place des personnages âgées dans la modernité) où l’exploration de la condition humaine prime, et se révèle des plus réussi, quand bien même certains amateurs de SF n’y trouveront peut-être pas leur compte, tant la dimension scientifique passe à l’arrière plan.