Dan SIMMONS
ROBERT LAFFONT
192pp - 18,00 €
Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109
Ce livre s’ouvre par une préface de Simmons lui-même, où il révèle sa source d’inspiration pour ce court roman : le cycle de la « Terre mourante », signé Jack Vance, dont il explicite par ailleurs les circonstances de la découverte qu’il en fit adolescent. C’est la raison pour laquelle Le Nez-boussole d’Ulfänt Banderõz, publié en 2013 en VO, se qualifie comme pastiche, à savoir une imitation assumée d’un texte plus ancien. Le lecteur de Vance et connaisseur du cycle en question devrait prendre du plaisir à participer au voyage en nostalgie que s’offre Simmons ; pour d’autres, il sera possible, dès les premières pages, de se sentir comme dans l’Yragaël de Druillet et Demuth.
Le décor n’est autre que cette Terre mourante célébrée par Vance : moins qu’une expression, c’est bien le nom de la planète dans ce futur si lointain que son Soleil est devenu rouge et enflé ; elle est encore la demeure d’un certain nombre d’êtres humains, bien que pour certains passés à la moulinette de l’évolution ou des manipulations génétiques, mais elle abrite aussi des entités d’ordre supérieur, et surtout des ruines qui témoignent d’un passé brillant quoique désormais obscur. Si cette Terre est dite mourante, ce n’est pas tant parce qu’elle est ancienne – d’ailleurs, bon nombre de ses habitants semblent avoir plus ou moins vaincu la mort —, mais parce qu’elle a tout vu et tout enduré. Voyager à sa surface, c’est observer les restes incompréhensibles d’une gloire vieille de centaines de millions d’années, ce qui en fait une vanité à taille planétaire ! S’y trouve, quelque part, une bibliothèque du savoir magique rassemblée par un certain Ulfänt Banderõz, et dont le contrôle excite les convoitises – parce que, peut-être et entre autres choses, il s’y trouverait une façon de ralentir la mort de la Terre.
On sait que Dan Simmons a eu par ailleurs l’occasion de s’intéresser aux questions liées au temps et à son passage : ce n’est donc pas inattendu de le voir jouer à son propre jeu sur ce terrain qui n’est pas le sien. Si les personnages qu’il fait voyager sur la Terre mourante sont dignes dans leur apparence et leurs caractères des pages de Vance – à tel point que l’on pourrait par moments se croire quelque part sur Tschaï –, leur comportement et leurs calculs, quant à eux, relèvent bel et bien de l’écriture de Simmons. Ainsi le diaboliste Shrue, qui tient le rôle principal et dirige en fait la quête pour la bibliothèque d’Ulfänt Banderõz, est un personnage haut en couleur, antipathique et sympathique à la fois, comme seuls savent l’être certains personnages de Simmons. Il est difficile de ne pas penser ici aux voyages d’envergure interstellaire qui caractérisent les « Cantos d’Hypérion », ni au thème de la mort de la Terre qui en constitue l’un des arguments… Le rôle de la préface déjà évoquée s’avère donc multiple : on finit par comprendre, au fond, que Le Nez-boussole d’Ulfänt Banderõz apporte une précieuse et singulière clé d’interprétation de l’œuvre majeure de Simmons, rien de moins.
Il est en tout cas certain que l’auteur s’est fait plaisir à revisiter à sa façon les souvenirs de ses premières excursions littéraires en Imaginaire : que le lecteur se réjouisse, car le voyage en est d’autant plus beau et passionnant !