Cahnis Datanis est illustrateur naturaliste et conducteur des arts de l’expédition Nordique. Et quelle expédition ! Des centaines de milliers de voitures sont parties d’Oliende, à l’est du continent, pour rallier l’ouest. À leur bord, des centaines d’ouvriers, de poètes, de nobles, de soldats, de prêtres. Venus de plusieurs régions, tous œuvrent, à leur façon, pour un but commun. Apporter la parole du dieu Sou et en montrer la force, la puissance, la grandeur. Et pourquoi pas convaincre les mécréants de l’Ouest de la supériorité de leur divinité. Par tous les moyens, au risque de transformer ce voyage d’études en croisade sanglante.
Dès les premières pages de son journal, Cahnis, notre témoin privilégié, est victime d’un accident. Voire d’une tentative de meurtre. Et peu à peu, tout le bel ordonnancement de la caravane part à vau-l’eau. Les tensions s’exacerbent, les jalousies explosent, les haines se font violentes. Est-ce sous l’effet de la fatigue ou d’une substance ingérée ? Est-ce accidentel ou volontaire ? La paranoïa atteint progressivement tout l’entourage de Cahnis.
Ce livre, baroque dans son écriture comme dans ses thèmes, nous entraine dans un voyage hors du temps, du monde. La mise en page, soignée, et les dessins (noir et blanc ou couleurs, petits ou pleine page) nous immergent totalement dans les contrées visitées, dans l’atmosphère délétère de la caravane. On sent l’expérience des jeux vidéo d’Olivier Enselme-Trichard, co-fondateur d’Arkane Studios. Il sait créer une ambiance et ainsi faciliter la plongée dans l’esprit du personnage principal. En effet, Le Nordique est un extrait de son journal, texte et illustrations, et donc sa vision des contrées traversées, de leurs habitants et des évènements qu’il vit. Quelques encadrés apportent des renseignements supplémentaires, venant d’autres sources, et bienvenus pour saisir l’ampleur des remous politiques et religieux créés par cette expédition. Ils offrent aussi des pauses dans le récit de plus en plus embrouillé de Cahnis. Et c’est tant mieux. Car le recours au point de vue interne est une force et une faiblesse de ce bel ouvrage : les sautes d’humeur du narrateur, ses réactions intempestives et difficilement compréhensibles rendent le personnage plus réel, plus vivant, mais finissent par lasser. Tout comme les distributions d’amendes et de gifles à ses collaborateurs. Et diverses pitreries dignes de ces films montrant une cour décadente toute occupée par les apparences, les plaisirs excessifs, mais vides de toute réflexion. Reste un bel objet, atypique et imparfait, mais attachant et non dénué d’intérêt. Pour peu qu’on accepte de s’y perdre corps et âme.