Matthew Phipps SHIEL
L'ARBRE VENGEUR
18,00 €
Critique parue en juillet 2018 dans Bifrost n° 91
Cité par H. G. Wells, admiré par Lovecraft, ce roman de 1901 est réédité en français après plus de vingt ans dans les limbes (et une première incarnation en « Présence du Futur », puis une réédition chez 10/18). Pas de zombies ni de pandémie dans ce texte apocalyptique, mais les curieuses errances du dernier humain vivant ; un récit étrange et torturé, désuet à souhait, avec tout ce que ça implique de plaisirs et d’agacements pour un lecteur contemporain.
L’histoire, qui peut nous sembler simple aujourd’hui, tant son motif a été depuis exploité, apparaît comme novatrice lors de la parution : alors qu’il participe à un voyage pour rejoindre le pôle Nord (source de fantasmes au tournant du xx e siècle, le pôle géographique ne sera découvert que sept ans après la publication du texte), Adam Jeffson est l’unique survivant humain non seulement de l’expédition, mais, pire encore, comme il le comprend peu à peu, d’un cataclysme qui a parcouru la Terre (en évitant les pôles, donc) sous la forme d’un nuage pourpre tuant sur l’instant quiconque en a respiré la moindre parcelle. La source du désastre ? Divine ou créée par une présence étrangère, on effleurera la réponse sans jamais la dévoiler. La conséquence ? Les errances de ce personnage, objet d’un destin cruel, persuadé d’être mystiquement tiraillé entre deux forces, la Noire, destructrice, et la Blanche, créatrice. Les divagations de ce narrateur tantôt détestable à cause de sa mégalomanie paranoïaque, tantôt touchant de par sa solitude désespérée.
Cet intrus, dorénavant, au sein de son propre monde, parcourt pendant deux décennies la Terre, « Éden infernal ». Décidant parfois d’incendier les villes qu’il visite, par plaisir pyromane, certes, mais aussi pour exprimer l’enfer qui l’habite, lui, le dernier représentant d’une race décimée. Ou se réfugiant dans la construction du plus beau palais jamais bâti, parce qu’après tout, comment donner un but à son existence quand plus rien n’a de sens ? Mais s’interrogeant toujours sur les raisons du chaos. Jusqu’à ce qu’une rencontre lui fasse tout remettre en cause. La rédemption serait-elle malgré tout possible ? Préservons le mystère…
Si l’on fait abstraction des aspects scientifiques et de survie, traités comme des détails vite écartés par l’auteur, reste un roman curieux qui pousse à la réflexion. Reste aussi un ouvrage qui fait sens remis en contexte, car appartenant aux premiers récits s’emparant du désormais topos de l’empoisonnement de l’atmosphère, et inspirant par la suite de nombreux romans tels que La Ceinture empoisonnée de Conan Doyle (1913), ou Le Nuage vert de A. S. Neill (1938, et l’éditeur français de ce dernier ne s’y sera pas trompé, en traduisant ainsi le titre anglais de The Last Man Alive…).
Un livre pour le moins étonnant, donc, qui mérite un petit détour par curiosité historique littéraire.