Jean-Pierre BOUDINE
DENOËL
192pp - 18,00 €
Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78
Le Paradoxe de Fermi est une version corrigée du roman de Jean-Pierre Boudine publié en 2002. Treize ans après la version initiale, l’auteur ajoute certains développements que l’histoire récente (crise financière de 2007, accroissement des inégalités mondiales, ou progression incontrôlée de la menace climatique — éléments ayant conduit le 22 janvier dernier à une avancée de deux minutes de la célèbre Horloge de l’Apocalypse) rend incontournables.
En Pythie moderne, Boudine décrit les effets ravageurs d’une crise systémique débutant dans la finance puis s’étendant de proche en proche à tous les rouages d’une société technicienne devenue si complexe que le moindre défaut suffit à la faire s’écrouler. Il le fait à travers le journal, futile testament, d’un narrateur réfugié dans une grotte des Alpes pour fuir la menace mortelle que représentent ses derniers contemporains.
L’auteur montre comment une division du travail poussée à l’extrême, une informatisation omniprésente et un défaut évident d’intégration sociale rendent les sociétés aussi fragiles que de très fins mécanismes d’horlogerie. Alors quand, au bout du déni, le réel s’écrase sur la face du monde, quand un système économique productiviste, inégalitaire, en surchauffe, finit par exploser, quand l’agressivité d’une espèce prédatrice, l’individualisme égotiste qui fonde la nature humaine — Hobbes ? —, et la dictature de l’immédiateté avec ses conséquences écologiques s’en mêlent, la danse sur le volcan finit inévitablement au fond de sa gueule.
Tout ceci, Boudine le montre sans guère de pathos, et il est difficile de prendre son raisonnement en défaut. Il en tire une solution simple, comme évidente, au célèbre paradoxe de Fermi. La vie intelligente ne peut durer. Les civilisations techniciennes s’autodétruisent vite. C’est pour cela que nous n’en avons jamais rencontré aucune dans l’immense univers.
En accord total avec la thèse de l’auteur, je ne trouve néanmoins pas son texte sans défaut. Froid, presque clinique, Boudine ne crée pas de personnages. On en sait un peu sur son narrateur, presque rien sur les autres. Aucun ne développe avec le lecteur une relation qui l’impliquerait. Très bref dans sa description de l’effondrement, il convaincra les convaincus tels que moi mais manque sûrement d’artifices rhétoriques pour faire basculer les indécis. Si on ne s’intéresse pas à ces questions, tout peut sembler trop rapide, trop explicitement didactique. A mi-chemin entre un roman comme Exodes de Jean-Marc Ligny et un essai comme le glaçant The Collapse of Complex Societies de Joseph Tainter, Le Paradoxe de Fermi est au moins une bonne introduction à la fragilité d’un monde qui nous paraît acquis. En cela, il est utile et méritoire.