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Les critiques de Bifrost

Le Parlement des instincts

Le Parlement des instincts

Philippe CAVALIER
ANNE CARRIERE
27,00 €

Bifrost n° 111

Critique parue en juillet 2023 dans Bifrost n° 111

1582 en Toscane, naît un petit sujet, qui n’est pas Pinocchio mais le précède, au moins par la chronologie inventée. Facétie de la fiction qui instaure une véritable parenté entre le nain Ilario d’Orcia et le pantin de bois, tant ils partagent un même mélange de naïveté et de rouerie, sur fond d’improbables aventures. À ceci près que le gnome est un tueur de masse, petite taille mais grandes colères, et qu’il n’est pas bon d’être aimé par l’impuissant avorton. Dans les ors et la boue de la Renaissance, âge de lumière et de ténèbres, Ilario d’Orcia devra trouver sa voie, à petits pas ou monté sur le lion de Némée.

Disons-le tout de suite, Le Parlement des instincts est un livre-univers où l’on se plonge sans vouloir reprendre son souffle. Véritable Pic de la Mirandole à l’érudition étourdissante et généreuse, Philippe Cavalier avait déjà montré avec son cycle Le Siècle des chimères combien l’Imaginaire pouvait trouver sa place dans l’ombre de l’Histoire. D’ailleurs, ses références au Nom de la rose d’Umberto Eco, et aux Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas relèvent moins de l’allusion littéraire que de l’univers partagé, comme s’il existait un monde merveilleux affleurant le nôtre. Ici, les occasions de mêler le vrai au faux sont légion, de la vie agitée du Caravage à l’assurance morbide d’Elisabeth Bathory, en passant par la cour du roi Rodolphe II de Bohème, mécène des arts, notamment noirs. Mention spéciale au formidable capitaine de fortune, Hagen von Baalberg, qui fait penser au film The Last Valley de James Clavell, et sert Lucifer à l’instar du capitaine von Beck dans Le Chien de guerre ou la douleur du monde de Michael Moorcock. Dans cette même veine, le siège de Brünn et son lot d’horreurs est un véritable tour de force.

Cartographe de son temps, Ilario arpente un monde sans cesse changeant, toujours en simple passage dans une époque elle-même en devenir. Le titre du roman, dont le sens nous sera révélé dans les dernières lignes, témoigne bien de cette transition entre la pluralité des émotions et l’unité de la raison que va incarner Descartes. Notre nabot, d’ailleurs, le hait. Mais l’ami d’Orcia est également archéologue, fouillant les différentes strates sociales au fil de ses aventures, il sera de fait mineur.

Tout cela nous est raconté par le principal intéressé, à la fois acteur et narrateur dont la fiabilité est sujette à caution, selon qu’on le tienne pour chroniqueur ou conteur. Cette équivoque est l’une des grandes qualités du récit, servi par un style exubérant où alternent farce et tragique, et versant progressivement dans le baroque à mesure que les temps changent.

Une véritable épopée de poche, dont le héros n’est certes pas haut, mais grand.

Xavier MAUMÉJEAN

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