Jean-Louis FETJAINE
POCKET
7,60 €
Critique parue en octobre 2002 dans Bifrost n° 28
« Ne croyez pas les contes de fées : ce sont les hommes qui brisèrent cet équilibre, et non les nains malfaisants, chargés de tous les maux. Les hommes et leur nouvelle religion, prônant l'unicité et proclamant la suprématie d'une race sur toutes les autres : une seule terre, un seul dieu, un seul roi… ».
Ainsi donc, la première trilogie de Fetjaine, celle des Elfes (remarquable et tout juste rééditée chez Pocket — cf. critique in Bifrost n° 17 et l'interview de l'auteur dans le n° 21), narrait-elle cette histoire avant l'Histoire, la tragédie de la rupture, la fin du monde d'avant, quand hommes, elfes et nains cohabitaient en harmonie. Ce nouveau cycle nous contera donc l'après-chute, le monde des hommes et de leur cruauté, l'avènement de leur royaume et leurs conflits fratricides, le fer des rois guerriers et le bois des croix monastiques. Et si la première trilogie pouvaient se présenter comme une manière de rapprochement entre la « Matière de Bretagne » et un appareillage romanesque qu'on qualifiera, faute de mieux, de tolkienien, ce nouveau cycle marque un autre rapprochement, celui de cette même « Matière de Bretagne » avec l'Histoire, la grande, la vraie, la nôtre…
Nous sommes à la fin du VIe siècle. La Grande Bretagne, après le départ des romains, est éclatée en une multitude de royaumes : au nord le royaume picte, à l'est les royaumes saxons, au nord-ouest et sur l'île d'Irlande les royaumes gaels et scots. À la croisée de ces territoires, les bretons ont toutes les peines du monde à survivre, éparpillés, divisés, diminués. Il leur faudra pourtant parvenir à s'unir sous la bannière d'un roi suprême s'ils espèrent résister à leurs voisins, une union qui n'ira pas sans son lot de trahisons et de mésalliances… Au sein de ce tourbillon de violence, un gamin, Myrddin, fils bâtard du plus grand roi de son temps, le riothime Ambrosius Aurelianus, se voit échoir des charges et devoirs qu'il ne souhaitait pas. Le voici propulsé sur les chemins de l'aventure, aventure qui, bien sûr, comme en toute bonne fantasy, sera d'abord une initiation…
Au-delà de ses indéniables qualités de conteur et son sens aigu de la dramaturgie, le vrai talent de Fetjaine, ce qui en fait tout l'intérêt, c'est la perpétuelle mise en perspective historique de ses récits. En cela, ses romans arthuriens sont autre chose qu'une pierre de plus — aussi bien taillée qu'elle soit — à ajouter au gigantesque édifice littéraire qu'est la « Matière de Bretagne ». L'introduction du Pas de Merlin, le premier tome de cette nouvelle trilogie, est à ce titre exemplaire. L'auteur s'y livre à quelques « réajustages » étonnants. On y apprend par exemple l'apport fondateur au mythe d'une certaine tribu scythe, les iagyzes, ou encore que si Merlin a probablement existé, le cas d'Arthur est plus hypothétique — il serait, comme Merlin d'ailleurs, l'assemblage de plusieurs personnages ; peut-être même, et c'est l'avis de l'auteur, se limiterait-il à un simple surnom honorifique ! Et Fetjaine de conclure en évoquant le « cadre historique de ce récit… imaginaire » (p. 20). C'est dit. L'auteur inscrit son récit dans un strict cadre, celui de l'histoire. Cette démarche, cette mise en perspective historique de la légende, place Fetjaine dans la lignée des premiers conteurs médiévaux, ceux de l'Historia Brittonum (vers 830), Geoffroy de Monmouth et Chrétien de Troyes. Un parrainage parfaitement assumé par l'auteur même si, dans ce Pas de Merlin, sur le strict plan narratif, on ressort moins convaincu qu'à la lecture du premier cycle. Le roman n'en est pas moins passionnant de bout en bout, et l'ensemble des quatre livres qui forment à ce jour le corpus arthurien de Fetjaine, une œuvre remarquable, un sommet de fantasy.