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Les critiques de Bifrost

Le Petit cabaret des morts

Le Petit cabaret des morts

Francis BERTHELOT
LE BÉLIAL'
256pp - 15,00 €

Bifrost n° 53

Critique parue en janvier 2009 dans Bifrost n° 53

Septième tome du monumental cycle du Rêve du démiurge, Le Petit cabaret des morts fait directement suite à l'excellent Hadès Palace que les plus pauvres d'entre nous (et ils sont nombreux) peuvent désormais se procurer en poche, et dont nous avions dit beaucoup de bien ici même. Là où Hadès Palace s'interrogeait sur le douloureux rapport entre mort et création, amour et violence, ordre et anarchie, Le Petit cabaret des morts prolonge la réflexion sur la place de l'artiste et la nécessité parfois gênante de continuer à se produire, quoi qu'il en coûte. On le sait, les romans de Berthelot se lisent indépendamment les uns des autres, mais si Le Petit cabaret des morts n'échappe pas à la règle, force est de reconnaître qu'un détour par la case Hadès Palace n'est pas une mauvaise idée, tant les deux romans se suivent, se ressemblent et traitent globalement du même sujet en reprenant bon nombre de personnages clé. Pratique, donc, le lecteur lira deux bons livres au lieu d'un seul. En ces temps de crise, c'est appréciable. Si Hadès Palace trouvait une certaine forme de beauté poétique en prenant son temps, Le Petit cabaret des morts accélère singulièrement la cadence. Certes, l'auteur ne monte pas son livre au hachoir, mais on décèle une accélération générale des événements et une écriture plus tranchée qu'avant. Douloureuse, enjôleuse ou glaciale, la plume de Berthelot ne change évidemment pas sur le fond, mais on y constate une évolution du rythme et des images encore plus convaincante. Est-ce l'approche de la fin du cycle qui conduit l'auteur à explorer de nouvelles voix ou bien sa curiosité naturelle d'écrivain et son simple bon plaisir ? Mystère. En attendant, Le Petit cabaret des morts démarre rapidement, ne s'attarde pas beaucoup sur le paysage et ne regarde quasiment pas en arrière. De l'action, de l'action, de l'action (à la sauce Berthelot, toutefois, on est loin des films hollywoodiens). On y retrouve la famille Algeiba, plus particulièrement Romain et Yorenn, perdus dans un village et très occupés à panser leurs plaies. Sauf que la malédiction n'est jamais loin, et qu'après le suicide de Romain (auquel on assiste dès les premières pages), Yorenn tombe dans les bras du séducteur du coin, Alvar Cuervos, l'assistant du curieux docteur Malejour, un personnage bizarre qui a la douteuse manie de collectionner les âmes des morts après les avoir physiquement réduites via un appareil très début de siècle (ce qui leur procure plus de consistance, en quelque sorte). Mary Shelley et Wells ne sont pas loin, et en s'accaparant le mythe du savant fou, Berthelot s'amuse avec les codes, tout en livrant une histoire d'une grande beauté formelle où la tragédie tire son essence du désespoir humain et de l'amour impossible. Classique, donc, voire antique, d'autant que Berthelot ne s'arrête pas là et mélange allègrement tous les ingrédients du genre. Les frères ennemis Maxime et Yvan Algeiba, les fantômes (fantômes du passé et fantômes bien réels) et quelques personnages secondaires de premier plan (si on nous passe l'expression). On le voit, le théâtre n'est pas loin, et c'est d'ailleurs bien de cela qu'il s'agit, dans la mesure où l'odieux Alvar Curevos use de son pouvoir démoniaque (et héréditaire… lisez le roman) pour se débarrasser du docteur Malejour et faire de ses âmes perdus des jouets. Des jouets qu'il « embauche » dans son théâtre d'ombres personnel, le petit cabaret des morts du titre, promis à un grand succès…

Toujours subtil, toujours limite et jamais gratuit, Francis Berthelot prolonge une œuvre déjà impressionnante avec ce roman impeccable de bout en bout. Au passage, il s'offre le luxe de renouveler son univers très personnel sans le dénaturer le moins du monde. Une prouesse stylistique qui n'a rien d'étonnant quand on connaît la plume d'orfèvre de l'intéressé, mais qui donne au Petit cabaret des morts une saveur particulière, cette petite touche indéfinissable qui transforme les livres en excellents livres. Courez.

Patrick IMBERT

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