Elisa BEIRAM
L'ATALANTE
192pp - 15,50 €
Critique parue en octobre 2023 dans Bifrost n° 112
Le Premier jour de paix, c’est l’utopie vers laquelle l’humanité tente de s’orienter. Quelques centaines de milliers d’émissaires parcourent une planète piquetée de zones arides et de no man’s lands, un monde ravagé par le changement climatique, en cette fin de XXIe siècle.
Le basculement écologique qui s’est opéré a généré son lot de conflits pour les ressources, en eau essentiellement ; de vastes flux migratoires concentrés en deux grandes périodes – le 1er et le 2e Exode – ont provoqué un effondrement démographique à l’échelle planétaire.
Les deux milliards d’êtres humains survivants ont fait face en remodelant les États mondiaux en quatre Grands Territoires Ouest, Est, Sud et Américain, surnommés les Jitis. Et si les grands conflits planétaires s’en sont trouvés apaisés, si la démilitarisation et le désarmement nucléaire ont finalement abouti, des poches de violence subsistent là où de petites communautés accrochées à leurs terres mourantes tentent de préserver une certaine autonomie…
Une fois ce contexte établi, le roman d’Elisa Beiram va essentiellement suivre deux personnages féminins : une émissaire qui parcourt le monde en résolvant quelques micro-conflits intra et intercommunautaires, et la négociatrice, en charge d’amener les quatre Jitis à signer un accord de paix universelle.
Toute la première partie du récit, consacrée à l’émissaire Esfir, présente une vision résolument positiviste d’un avenir post-catastrophe où tout le monde finit par s’aimer les uns les autres. Pour que les hommes et les femmes du monde cessent de se battre, il suffit de leur expliquer calmement que le conflit c’est pas bien et que la paix c’est quand même plus sympa… Dans cette entame feel-good à base de communication non-violente qui tente de pacifier l’espèce humaine à grands coups de bons sentiments, on peut avoir du mal à adopter la suspension d’incrédulité adéquate ! Mais pour peu que l’on soit prêt à accepter le concept, le récit se révèle agréable à lire, bien écrit, dans un style fluide, où l’action modérée laisse la place aux introspections des personnages. SF cosy.
Oui mais voilà, Le Premier jour de paix fait partie de ces « romans à bascule » où le point de vue du lecteur change radicalement à la suite d’un évènement majeur autant qu’impromptu quelque part aux alentours de la centième page. N’en disons pas plus sur ce rebondissement, afin de ne pas gâcher le plaisir de lecture, mais la deuxième partie, qui est cette fois-ci surtout consacrée au travail d’América Pérez – la négociatrice – donne une nouvelle dimension à une histoire qui semblait jusque-là avoir du mal à décoller. La science-fiction y fait véritablement son apparition, et on a (enfin) envie de connaitre le dénouement !
L’état d’esprit des personnages se complexifie, l’intrigue s’amplifie, et on comprend que toute la question mise en place par le récit va être de savoir ce à quoi pourrait correspondre un premier jour de paix, s’il va être possible d’y parvenir et par quel moyen, et surtout : qu’est-ce qu’impliquera la réussite ou l’échec de cette entreprise ? La réponse aura quelque chose de cosmique et d’incommensurable…
À noter qu’Elisa Beiram propose en fin d’ouvrage une « bibliographie choisie » qui permet de mieux comprendre comment cette idée du premier jour de paix a pris forme dans son esprit.
À mille lieues du cyberpunk et du post-apo, voici un livre qui innove et mériterait peut-être le qualificatif d’irénologie-fiction… Une intéressante réflexion sur le concept de paix universelle.