Publié originellement en 1981, le tout premier roman de Nancy Kress, Le Prince de l’aube, paraîtra seulement onze ans plus tard en français. Curieux roman que celui-ci, bien éloigné de ce à quoi l’auteure américaine nous habituera par la suite – à savoir une science-fiction teintée de hard science. De fait, il s’agit ici de fantasy. Si les premières pages laissent imaginer une veine humoristique pré-Pratchett, la suite nous détrompe vite. Dans un monde qui ressemble au nôtre sans l’être pour autant, la jeune princesse Kirila, héritière du royaume de Kiril, décide de se lancer dans une Quête (la majuscule est de mise) au long cours : celle du cœur du monde. Où est-il ? Qu’y trouve-t-on ? Personne ne le sait. Bien vite, Kirila croise celui qui deviendra son compagnon de route : Chessie, labrador au pelage violet, autrefois un prince avant qu’un sorcier ne le métamorphose en canidé. Ensemble, Chessie et Kirila vont arpenter le monde de long en large, faisant des rencontres étranges et inattendues – le petit peuple des Quirks aux différentes saveurs, au cœur du monde à leur manière particulaire, l’inquiétante magicienne Polly Stark, ou encore le jovial prince Larek, amateur de joutes. C’est ce dernier que Kirila décide d’épouser, au grand dam de Chessie, qui préfère prendre la poudre d’escampette. Là s’achève la première partie du roman. La seconde débute vingt-cinq ans plus tard, avec le retour du labrador enchanté : après le décès de Larek, Kirila reprend le fil de sa Quête, décidée pour de bon à trouver le cœur du monde. Mais la princesse a vieilli et Chessie a pris goût à sa nature canine…
À vrai dire, ce Prince de l’aube consiste moins en un texte de pure fantasy qu’une métaphore à peine déguisée d’une vie humaine – plus exactement de la vie d’une femme – où chaque rencontre revêt les atours de l’allégorie. Une vie, donc. Le goût juvénile de l’aventure et le plaisir des découvertes sont relégués au placard après les émois du mariage ; il faut attendre longtemps avant de pouvoir repartir, mais le temps joue désormais contre vous. Et puis, quel est l’intérêt de la Quête ? Ne risque-t-on pas la déception une fois celle-ci accomplie ? Le voyage n’a-t-il pas plus d’intérêt que la destination ? Enfin, qu’y a-t-il au cœur du monde, si ce n’est soi-même ? Kirila perdra bon nombre d’illusions et de croyances en chemin mais sortira grandie de ces épreuves. Roman picaresque autant que réflexion sur les passions et le sens d’une vie, Le Prince de l’aube se révèle une étrange aventure, quelque peu décousue et imparfaite, mais d’une lecture agréable – le ton doux-amer, touchant, en fin de compte, y joue pour beaucoup, tout comme la fin, étrangement émouvante. On aurait tort de le dédaigner.