Que dire sur les « coups de cœur » de Bragelonne que l’on n’ait pas déjà dit ? Qu’aucun d’entre eux n’a vraiment convaincu depuis Le Nom du vent de Patrick Rothfuss… De fait, les envolées dithyrambiques de l’éditeur Stéphane Marsan ont perdu de leur superbe. D’autant qu’elles ont dangereusement tendance à se multiplier au fil du temps, tout en faisant dans la surenchère constante.
Ici, on nous vante la rencontre entre David Gemmell et… Metallica. Soit. Difficile donc d’aborder ce nouveau « coup de cœur » de façon totalement neutre, surtout quand on constate que l’accent est mis sur la violence et la jeunesse de son anti-héros endossant volontiers les oripeaux du meurtrier. Bref, un premier roman vendu clairement sous l’angle du « coup de poing » dans le ventre d’un lecteur qui n’aurait jamais vu ça.
Autant le dire d’emblée en filant le champ lexical, il n’y a aucune « claque » à attendre à la lecture du Prince écorché. Mais nous ne sommes pas non plus face à une déception de l’ampleur d’un Lame damnée de Jon-Courtenay Grimwood. Ainsi, on ne pourra pas reprocher au roman de Mark Lawrence d’être terne. S’il trempe volontiers dans l’outrance, il évite la plupart du temps la surenchère bêtement grotesque. L’âge de son personnage principal, Jorg, ne manquera pas de faire tiquer, non pas à cause de ses treize ans, mais plutôt à cause de la vraisemblance du tout, qu’importent ses traumatismes. Bien sûr, l’auteur tente d’expliquer le pourquoi du comment et l’ensemble se tient d’ailleurs plutôt bien, mais le choix de la narration à la première personne implique que la voix du personnage nous marque, ce qui n’est pas le cas, la faute à un humour et une noirceur forcés. L’univers recèle quant à lui quelques surprises, même si plusieurs éléments ancrant ce monde dans une certaine réalité semblent souvent tomber comme un cheveu sur la soupe.
Au final, on peut compter sur un récit au caractère dynamique et efficace, ce qui n’est déjà pas si mal en ces temps de disette. Le recours à des chapitres courts et des interludes illustrant l’opinion de Jorg sur ses « camarades de jeux » s’avère un choix payant. Tout comme l’alternance entre passé et présent. Le risque étant de voir le lecteur privilégier l’un des deux axes et survoler l’autre d’un œil distrait, mais Lawrence réussit à éviter l’écueil.
Dommage qu’il n’en soit finalement pas de même en ce qui concerne la profondeur de ses personnages ou l’ampleur de son intrigue. Même dans le contexte du traditionnel premier tome d’une trilogie, ces deux aspects ont un goût certain d’inachevé. On en reste donc à une histoire de vengeance et de colère larvée chez un adolescent pas vraiment comme les autres, certes, mais un ado qui reste un petit garçon perdu malgré tout. Un parti pris qui aurait pu convaincre, si une fois encore le roman n’avait pas été présenté comme une histoire choc à la hauteur des écrits d’un Joe Abercrombie.
Au-delà des attentes potentielles, le roman de Mark Lawrence se révèle encore très loin des maîtres du genre, à l’instar de beaucoup de premiers romans anglais ou américains proposés depuis deux ou trois ans. Si l’on met de côté la violence du roman, il ne reste guère qu’un timide coup de pied dans la fourmilière, plaisant mais pas inoubliable.