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Les critiques de Bifrost

Le Printemps russe

Norman SPINRAD
DENOËL
13,75 €

Critique parue en novembre 1996 dans Bifrost n° 3

 

« Le pilote gémit quand les patins de l’hélicoptère touchèrent terre. Mrs Van Gelder tapa sur le museau de son cocker : « Si tu me pisses dessus, Pupuce, je te tue ! glapit-elle… Eh bien, qu'est-ce que vous attendez, espèce d'idiot ? » dit Mrs Van Gelder en flanquant la laisse dans la main du pilote au visage terreux. « Emmenez Pupuce faire sa promena avant qu'il ne fasse partout. »

– Perro / cria quelqu'un. Perro, Perro, Perro !

– Un chien!

– DE LA VIANDE!

– DE LA VIANDE ! DE LA VIANDE ! DE LA VIANDE ! »

Le choc de l'été 96: la réédition chez Denoël de Les Années fléaux, recueil de trois novellas dont le traumatisant « Chair à pavé » - à l'occasion de la sortie en poche de Le Printemps russe du même auteur (voir plus bas) chez le même éditeur.

En une préface — vibrant plaidoyer contre l'Amérike annoncée et pour une Amérique digne de ce nom, celle de la conquête spatiale et de la reconstruction économique de l'Europe et du Japon — et trois récits, soit dit en passant, classés dans un ordre d'optimisme croissant, Spinrad démolira, dans Les Années fléaux, les dernières illusions que vous pourriez nourrir encore sur la culture Big Mac/Disney.

En ce qui concerne la grandeur cachée de l'Amérique, c'est en revanche plutôt dans Le Printemps russe qu'il faudra chercher : une fable d'envergure à travers le destin d'un ingénieur père de famille, qui rêvait d'être astronaute, en butte aux coups du sort et aux compromissions politiques aux plus hauts niveaux une lutte pied à pied pour des rêves d'enfant et des espoirs déçus.

Aussi bien dans Le Printemps russe que dans « Chair à pavé » règne un souffle, une puissance narrative qui vous transportera. « La vie continue » — troisième novella des Années fléaux, où Spinrad se met lui-même en scène, en vedette plutôt — ressemble davantage à un vaudeville avec son quota assez réjouissant de coups de théâtre et de retournement de situations. « Chroniques de l'âge du chaos », la seconde novella du même ouvrage, aurait dû être un roman, dont la rédaction fut définitivement ajournée par l'auteur une fois établi la certitude qu'il ne pourrait vendre un tel sujet à un éditeur américain, par trop soucieux des réactions puritaines de l'Amérike profonde.

C'est alors qu'un petit pincement au cœur me saisit. Dans le même cas, Jack Womack nous a livré le terrifiant Journal de nuit (Random acts of Senseless violence), uniquement publié en Angleterre et en France, chez Denoël, et à lire absolument. Même si les « Chroniques de l'âge du chaos » nous sont quand même parvenues sous forme de novella, comment expliquer que l'existence de l'œuvre intégrale se soit jouée selon les règles purement économique de la censure américaine ?…

David SICÉ

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