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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2017 dans Bifrost n° 85

De la science-fiction chinoise, on ne connaissait jusqu’à présent à peu près rien, hormis ce que de rares articles ou dossiers – notamment dans Galaxies no 24 – ont pu nous en apprendre. Après la consécration du Problème à trois corps lors de la remise des Hugo en 2015 (meilleur roman), dans sa traduction anglaise signée Ken Liu, il n’est pas interdit de penser que la situation pourrait assez vite changer, et que certains éditeurs pourraient avoir la curiosité de se pencher sur l’œuvre de Liu Cixin et de quelques-uns de ses collègues.

L’action du Problème à trois corps, premier tome d’une trilogie, prend racine dans l’histoire chinoise contemporaine, à la fin des années 60, pendant la Révolution culturelle menée par Mao Zedong. Ye Wenjie, adolescente et fille d’un physicien accusé de promouvoir des thèses réactionnaires, assiste à l’exécution publique de son père après que celui-ci a refusé de faire son autocritique. Un événement traumatisant qui aura des conséquences sur la vie de la jeune femme, mais également sur l’avenir de l’humanité toute entière. À travers son histoire et celle de Wang Miao, un scientifique spécialiste des nanomatériaux, le récit se poursuit jusqu’au début du XXIe siècle et ne révèle que très progressivement sa véritable nature.

Le Problème à trois corps est résolument un roman de hard science. Liu Cixin n’hésite jamais à consacrer de longues pages à la description détaillée de la meilleure méthode pour envoyer une onde radio vers l’espace ou déployer une structure de neuf dimensions en deux dimensions. De ce point de vue, la partie la plus intéressante est certainement celle consacrée au problème qui donne son titre au roman, que l’auteur met en scène par le biais d’un jeu en réalité virtuelle qui occupe une place centrale dans le récit. Plus encore que la description du phénomène physique à l’œuvre dans ce cadre, c’est dans celle d’une forme de vie aux capacités singulières, adaptée aux conditions extrêmes de cet univers, que l’auteur excelle et évoque les extrapolations les plus échevelées dont est capable un auteur comme Greg Egan.

Reste que l’enjeu premier du récit n’est pas là, et qu’il ne se révèle au lecteur que dans le dernier quart du roman – à moins d’avoir eu la malencontreuse idée de lire l’imbécile résumé en quatrième de couverture qui divulgue d’une traite tout ce que l’auteur s’est efforcé de taire le plus longtemps possible. Un enjeu d’une telle ampleur qu’il donne à tout ce qui a précédé un aspect presque anecdotique, et réduit ce premier roman au rôle de prologue d’une histoire autrement plus vaste.

D’un point de vue romanesque, tout n’est pas parfait. La progression de l’intrigue s’appuie trop souvent sur des coïncidences un peu trop heureuses, et le roman souffre de mettre en scène des personnages trop lisses auquel il est difficile de s’attacher, à l’exception notable de Ye Wenjie. À ces réserves près, Le Problème à trois corps constitue une lecture aussi roborative qu’enthousiasmante.

Philippe BOULIER

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