Leigh BRACKETT
OPTA
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
Conséquence d’une guerre atomique, les États-Unis se sont reconstruits avec comme unique objectif de ne plus jamais commettre les mêmes erreurs. Désormais proscrites par la constitution, les villes d’autrefois ont cédé la place à de petites communautés peuplées de chrétiens issus de diverses églises (Mennonites, Amish) ayant en commun le rejet de toute forme de progrès technologique ou scientifique. Len Colter et son cousin Esaü ont été éduqués dans un tel contexte. Pourtant, devenus adolescents, ils ont de plus en plus de mal à accepter le déni et l’ignorance dans lesquels se complaisent leurs contemporains, de même que la violence dont ils peuvent faire preuve à l’égard de ceux qui tentent de remettre en cause cette situation. À cela s’ajoutent les histoires du monde d’antan que leur raconte leur grand-mère, assez âgée pour avoir connu toutes ces merveilles technologiques aujourd’hui disparues. La lapidation par la foule d’un homme soupçonné de menacer l’ordre établi, puis la découverte d’un poste de radio vont pousser les deux garçons à partir à la recherche de la mythique Bartorstown, dernier bastion supposé du monde d’avant.
Le Recommencement est un texte qui se situe aux antipodes des œuvres les plus fameuses de Brackett. On pourrait parler ici de roman d’apprentissage, dans lequel ses deux jeunes héros vont au fil des pages découvrir la réalité du monde qui les a vus naître, son ignorance, son intolérance, et toute la violence dont il est capable pour interdire la moindre remise en cause de ses dogmes. Face à un tel constat, Bartorstown fait longtemps figure d’Eldorado. Mais la vérité de cet endroit n’a que peu de rapport avec la vision idéale que s’en faisaient Len et Esaü. Au bout du chemin, face à la banale et complexe réalité des choses, ils devront faire un choix de vie qui tient avant tout du compromis, un passage à l’âge adulte aussi cruel que nécessaire. Dans ce roman, à l’instar de ses héros, Leigh Brackett renonce à une forme de manichéisme qui définissait l’essentiel de la science-fiction des décennies précédentes. Jamais réédité en France depuis sa première parution en 1976, Le Recommencement mériterait d’être redécouvert.