Une Chinoise demande à Ruth Law, ancienne policière devenue détective privé, d’enquêter sur le meurtre de sa fille, exécutée de deux balles, puis énucléée. La jeune femme avait quitté le domicile parental, prétendait travailler mais se livrait à la prostitution, raison pour laquelle la police se désintéresse de l’affaire. Les finances de Ruth, abonnée aux adultères et aux fraudes à l’assurance, la poussent à accepter, malgré ses réticences, en raison surtout du Régulateur branché en permanence, qui lui permet de considérer les situations avec le recul nécessaire, débarrassée des émotions contre-intuitives.
Patiemment, Ruth décortique son sujet et découvre, malgré les précautions prises par l’assassin, une affaire qui relève des meurtres en série. Parallèlement, l’intrigue suit les agissements du tueur, surnommé le Surveillant, la narration fouillant son passé pour éclairer sa psychologie. Il en va de même pour la méthodique enquêtrice dont les motivations trouvent leur origine dans un passé douloureux qui la laisse solitaire, et pratiquement dépourvue d’affect à force de laisser branché son anesthésiant d’émotions – le Régulateur dont tous les psys signalent la dangerosité en cas d’utilisation prolongée. Tous deux agissent avec calme et méthode, ce que traduit le style précis, froid, dépourvu de fioritures, et le luxe de détails dans la façon de procéder. La brièveté des chapitres découpe le récit avec le même soin clinique.
Tout, dans cette enquête, est affaire de regards : le motif de l’énucléation, les vidéos que consulte le Surveillant, les minutieuses inspections de Ruth, les recours de la technologie moderne pour reconstituer une scène de meurtre, les jeux de miroirs, les informations sur écrans et sur réseaux délivrant des bribes substantielles de l’intrigue. Et davantage encore, le regard que Ruth porte sur elle, la culpabilité qui, tel l’œil poursuivant Caïn, ne cesse de la hanter.
Au-delà de l’affaire, c’est le Régulateur que questionne le récit, cette béquille offrant une lucidité optimale, salvatrice peut-être, mutilante assurément. La fin offre un dénouement percutant, où tous les jalons posés durant le récit se retrouvent dans la scène, comme un dernier regard évaluateur au-delà duquel l’histoire ne s’attarde pas.
Deuxième apparition du très remarqué Ken Liu dans l’élégante et non moins remarquée collection « Une heure-lumière » des éditions du Bélial’, Le Regard, bien qu’en apparence éloigné de L’Homme qui mit fin à l’histoire, tourne une fois de plus autour des notions de perte, de choix et du souvenir.
Un récit bref, maîtrisé avec brio, voire parfaitement régulé.