Johanna SINISALO
ACTES SUD
23,00 €
Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92
Comme l’annonce sans ambages son titre français, ce nouvel opus de la Finlandaise Johanna Sinisalo (dont trois des précédents romans, Jamais avant le coucher du soleil, Le Sang des fleurs et Avec joie et docilité, ont été respectivement chroniqués dans Bifrost) combine en une même uchronie science-fictionnelle nazisme et astre nocturne… Le Reich de la Lune épouse ainsi le point de vue de Renate Richter, descendante de nazis ayant trouvé refuge sur la face cachée de la Lune après la défaite de l’Allemagne hitlérienne. Pressentant à partir de 1944 l’effondrement du IIIe Reich, les dirigeants nationaux-socialistes conçurent alors la « très secrète opération Papillon ». Celle-ci consistait en la fabrication d’une flotte de vaisseaux spatiaux dissimulée dans l’Antarctique. Et ce, afin de transporter vers la Lune femmes et hommes strictement sélectionnés en vue de la création d’une colonie nazie. À charge pour ces sélénites en chemise brune de partir ensuite à la conquête de la Terre… Adoptant comme dans ses romans précédents une structure composite, Johanna Sinisalo donne au Reich de la Lune la forme d’un journal intime auquel s’entremêlent des archives apocryphes. Consignées par Renate entre 2001 et 2047, ces notes éclairent aussi bien son histoire personnelle – de l’enfance à l’orée de la vieillesse – que celle « avec un grand H » de ce Reich d’outre-espace. D’abord observatrice attentive du fonctionnement quotidien de « Schwarze Sonne » — l’officiel toponyme de la colonie –, Renate deviendra une actrice essentielle de sa tentative pour s’emparer de la Terre durant l’année 2018… Ainsi que Johanna Sinisalo l’explique dans la postface du Reich de la Lune, ce roman lui a été inspiré par sa collaboration au film Iron Sky (2012). Réalisé par Timo Vuorensola, il s’appuyait en effet sur une histoire conçue par l’écrivaine. De celle-ci, le scénario final de Iron Sky ne retint cependant qu’une partie. Sorte de « writer’s cut », dixit Johanna Sinisalo, Le Reich de la Lune lui a permis de mettre littérairement en scène l’intégralité de l’univers qu’elle avait alors élaboré. Ne se réduisant donc pas à une simple novélisation, ce roman s’inscrit pleinement dans l’œuvre de l’écrivaine. Hormis son mélange formel, Le Reich de la Lune partage avec ses autres romans une même dynamique narrative : celle d’une désaliénation. Retraçant, comme le récent Avec joie et docilité, le parcours d’une émancipation féminine, Le Reich de la Lune y associe celui d’une dénazification toute personnelle. Au terme du roman, son héroïne aura aussi bien rompu avec sa soumission au patriarcat qu’avec l’idéologie hitlérienne. Convaincant quant à sa dimension féministe, le livre l’est en revanche beaucoup moins concernant son évocation du nazisme. Le Reich de la Lune révèle en effet une approche profondément discutable du racisme hitlérien. La transformation science-fictionnelle par les nazis lunaires de James Washington (un astronaute afro-américain) en aryen canonique témoigne d’une naïveté certaine quant à l’essence du nazisme. Celui-ci considérait les supposées différences raciales comme strictement indépassables. Plus gênant encore, l’antisémitisme est réduit dans le roman à quelques mentions fugaces, la Shoah est à peine évoquée. Ainsi, c’est une dérangeante manière de « nazisme soft » que Johanna Sinisalo donne maladroitement à voir avec Le Reich de la Lune. On est donc très loin du Maître du Haut Château de Philip K. Dick, ou bien encore de Rêve de fer de Norman Spinrad, œuvres qui surent tirer le meilleur parti de l’Imaginaire pour plonger au plus vrai de la Weltanschauung nazie.