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Les critiques de Bifrost

Le Retour des morts

John Ajvide LINDQVIST
TELEMAQUE
350pp - 22,00 €

Critique parue en octobre 2012 dans Bifrost n° 68

En mars 2010, les éditions Télémaque publiaient Laisse-moi entrer, roman de John Ajvide Lindqvist (sorti en VO en 2004), quarantenaire suédois, prestidigitateur et comédien de stand-up de son état. Si notre homme signait là une histoire vampirique qui ne révolutionna pas le genre, ce premier roman, appelé à rencontrer un succès commercial important (en Suède d’abord, mais pas que), n’en reste pas moins un excellent exemple de la capacité à se régénérer de l’un des thèmes les plus rebattus des littératures fantastiques. Un livre dur et poignant, intimiste, qui connut deux adaptations cinématographiques : l’une, remarquable, sous le tire Morse, par Tomas Alfredson (film suédois de 2008) ; l’autre, plus dispensable et inutile — sans pour autant s’avérer scandaleuse — sous le titre éponyme au roman par le réalisateur Matt Reeves (film américain de 2010). Autant dire que notre ami John Ajvide Lindqvist abandonna bien vite ses activités de bateleur pour se consacrer à l’écriture…

Ainsi, après s’être attaqué aux vampires dans son premier livre, Lindqvist signe en 2005 le présent Retour des morts, roman qui, on l’aura compris, s’intéresse cette fois aux morts vivants (les « revivants », dans le récit), et arrive traduit chez nous sept ans après sa parution suédeoise.

A l’instar de Laisse-moi entrer, Le Retour des morts n’a rien d’un livre à grand spectacle nourri d’effets pyrotechniques rythmés, et le seul rapport qu’on pourrait ici faire avec le « pan Roméro » de la production zombiesque se limite au clin d’œil du titre français. De fait, très inscrit dans le tissu social du Stockholm moderne, Le Retour des morts tient davantage de la satire socioculturelle que de Walking Dead.

Stockholm, donc, août 2002. La canicule écrase le royaume suédois. La canicule, et une migraine tenace qui broie les méninges des habitants de la capitale, migraine qui culmine bientôt en un paroxysme de douleur intenable alors que tous les appareils électriques refusent systématiquement de s’éteindre, voire même de se laisser débrancher… Puis soudain tout s’arrête, céphalées et perturbations électriques. Le calme revient. La météo annonce l’arrivée d’un front pluvieux : retour à la normale. Sauf que — bien sûr — bientôt, les morts reviennent à la vie. Pas tous. Ceux des deux derniers mois. Soit deux mille individus environ circonscrits à Stockholm — le reste du pays, comme du monde, semble épargné par le phénomène sans qu’on sache pourquoi. Pas belliqueux pour deux sous, plutôt du genre légume recuit pour l’essentiel, ces deux mille individus n’en posent pas moins un sacré problème aux autorités, sans même parler des proches des « revivants »… Ainsi suivra-t-on la gestion des événements, gestion politique mais surtout humaine et affective, à travers le point de vue alterné de divers personnages et familles directement touchées par l’événement, le tout lardé d’articles de presses, de reportages, d’extraits de conversations « secret défense » des autorités…

Avant d’être un roman de genre, et dans la droite ligne de Laisse-moi entrer, Le Retour des morts est un roman tout court, un récit où l’élément fantastique, quoique moteur, s’avère surtout prétexte à disséquer les personnages et la société dans laquelle ils évoluent, le tout sans complaisance, mais avec une sensibilité extrême et une justesse non exempte de poésie — avec un accessit spécial au personnage de Flora, adolescente punkette particulièrement bien vue… Un livre doté d’une réelle dimension politique, en somme, empreint d’une grande justesse dans la préhension des rapports humains, d’où un sentiment d’empathie avec les personnages quasi immédiat. Un livre sur l’incommunicabilité, le rapport à l’autre et à la différence (là encore, à l’instar de Laisse-moi entrer), la perte, le manque. Un livre brillant de quelques pépites poétiques, on l’a dit, et emmaillés de vrais morceaux d’horreur. Mais un livre un peu long tout de même, voire ça et là presque chiant, oui, tant l’arc narratif peine à rester tendu tout du long une fois intégré que l’enjeu fantastique n’en est pas un (ou si peu), et se cantonne définitivement au rôle de moyen plutôt que de fin. Bref, un beau livre, mais un livre un tantinet bancal, trop long, qui échoue à pleinement revisiter un genre faute de s’y colleter réellement en continu.

Si Lindqvist avait frappé fort avec Laisse-moi entrer, son second roman confirme un vrai talent littéraire sans tout à fait l’asseoir. Gageons que le recueil et les autres romans qu’il a depuis publiés l’ont fait sans défaut, en espérant les voir un jour traduits par chez nous, tant il ne fait aucun doute que nous voici en présence d’un auteur remarqué car remarquable.

Olivier GIRARD

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