Robert Jackson BENNETT
ALBIN MICHEL
624pp - 24,90 €
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
Trois années ont passé depuis les événements narrés dans Les Maîtres enlumineurs (cf. Bifrost 103). Après le final épique survenu sur la Montagne, le petit groupe réuni autour de Sancia a semé les bases d’une nouvelle façon d’envisager les enluminures ; Interfonderies, sa société, se démarque en effet des traditionnelles maisons, qui gardent jalousement leurs secrets, en permettant la démocratisation de ces pratiques magiques. Mais la menace que peuvent représenter les maisons restantes n’est en rien comparable à celle qui, brutalement, se révèle et se réveille : un hiérophante, l’un de ceux qui ont fondé cette magie — qu’on pensait mort – est de retour et se dirige droit vers Tévanne ! Or, sa puissance est incommensurable, et ses intentions plus que douteuses puisqu’il prévoit d’assujettir tous les habitants de la cité…
Le premier opus, passionnant, plongeait le lecteur dans un monde de fantasy hyper crédible dont les personnages, fort bien campés, baignaient dans une pratique magique novatrice décrite comme une vraie technologie, avec ses ateliers, ses machines, ses ingénieurs… On retrouve ces qualités dans ce deuxième tome, mais l’auteur y ajoute un arc supplémentaire : l’enjeu politique. Ce qui tenait pour l’essentiel de l’aventure et du roman d’apprentissage dans Les Maîtres enlumineurs se pare ici d’une réflexion sur les vertus de la démocratie. Interfonderies en est le parfait exemple : comment abattre les privilèges d’une caste particulière, quand l’existence de cette dernière se résume à une longue histoire de domination des autres couches de la population par des pratiques magiques totalement opposées au mérite personnel ? Le choix est vite fait, et somme toute assez évident, mais Bennett va le pimenter d’un questionnement permanent avec l’entrée en lice du hiérophante et de son opposante, Valeria ; il faut se méfier des faux-semblants et des non-dits. La démocratie, au final, est-elle vraiment bénéfique, elle qui laisse la part belle aux initiatives personnelles ? Certains sont persuadés que la nature humaine est irrémédiablement corrompue, et que donner la possibilité aux individus de gérer leur avenir ne peut que conduire à la déchéance de la société. Cette thématique, transversale au roman, donne toute sa singularité au récit et le démarque de son prédécesseur ; nous sommes ici bien loin d’une redite. Mais Bennett a aussi d’autres cordes à son arc, comme trouver de nouveaux développements et débouchés pour ses enluminures : et si celles-ci pouvaient générer de nouveaux modes d’interaction entre les humains, et non plus ne concerner que les objets inanimés ? Sans oublier pas non plus qu’on évolue en pleine fantasy d’aventure : les rebondissements sont légion, et concourent à faire de ce Retour du hiérophante un roman aussi addictif que le volume inaugural de la saga. Aussi rythmé, aussi attachant, il gagne toutefois en profondeur, on l’a dit. Que demander de plus ? Réponse évidente : la suite de cette trilogie.