Avec Le Rêve de Galilée, Kim Stanley Robinson nous invite à redécouvrir l’un des épisodes les plus connus de l’histoire des sciences : les démêlés de Galilée (1564 - 1642) avec l’Inquisition et sa condamnation en 1633. Trente-trois ans après le supplice de l’impertinent Giordano Bruno, qui croyait trop en la pluralité des mondes habités… La science moderne est l’héritière directe de la révolution intellectuelle qui s’est jouée, en bonne partie, au cours de ces trois décennies.
Le roman débute en 1609, lorsque Galilée décide de construire sa première lunette astronomique. Détaillant l’Italie de la Renaissance tardive que parcourt son héros, de Venise à Florence et à Rome, Robinson prend le temps de construire un personnage complexe, généreux mais colérique, courtisan mais indépendant, égocentrique mais attentif, souffrant mais rabelaisien. Il s’intéresse aussi à la condition des femmes et au sort de Sœur Marie-Céleste, la fille préférée du savant. S’il ne s’attarde ni sur René Descartes, « un Français agaçant », ni sur « ce dingue de Kepler », quelques portraits bien sentis de grands seigneurs et de princes de l’Eglise viennent compléter la galerie : on trouvera ici la matière d’un roman historique de la plus belle eau, très documenté, avec la minutie qui caractérise cet auteur.
L’uchronie pointe son nez spéculatif là où on ne l’attend pas : ce XVIIe siècle historique est mis en dialogue avec un futur lointain, appartenant à une ligne d’univers où, comme Bruno, Galilée a finalement été brûlé vif, consommant un divorce définitif entre science et religion. Moins solidement étayée, voire purement onirique, cette seconde ligne narrative n’en constitue pas moins un contrepoint fructueux. Robinson peut y donner libre cours à sa réflexion sur l’ambivalence des rapports qu’entretiennent science et religion, après celle menée dans sa trilogie « Capital code » sur les rapports entre science et politique.
Un regret toutefois. S’attachant aux pas de Galilée, Robinson nous fait entrer dans son intimité et s’impose de ce fait l’un des défis les plus difficiles de la littérature : susciter chez le lecteur la révérence qu’inspire invariablement le contact d’une puissance créatrice hors du commun. Le souffle d’un Victor Hugo lui permet à n’en pas douter de dialoguer sans complexe avec les plus grands esprits de l’Histoire — « Oui, ces génies qu’on ne dépasse point, on peut les égaler. Comment ? En étant autre » suggère-t-il dans L’Art et la science —, mais n’est pas Hugo qui veut. Si Robinson déjoue sans peine le piège de l’hagiographie, son Galilée n’est, comme lui peut-être, qu’un honnête spécialiste. Mais ne boudons pas notre plaisir : génie ou pas, les découvertes du physicien sont crédibles et compréhensibles, et ce n’est déjà pas si mal !
D’un texte à l’autre, Kim Stanley Robinson continue à tisser une trame conceptuelle cohérente, jusqu’à faire sans doute de son œuvre l’une des plus significatives de la science-fiction actuelle. Original et ambitieux, Le Rêve de Galilée apparaît comme un élément d’envergure de ce projet. Chacun y trouvera son compte, de l’étudiant en physique au passionné d’histoire en passant par l’amateur féru d’uchronie ou de hard science fiction.
C’est toutefois un tout autre livre que nous proposent les Presses de la Cité. La traduction de Dominique Haas et David Camus, par ailleurs honorable, est parsemée de faux sens et d’approximations chaque fois qu’il est sérieusement question de physique. Pour le lecteur attentif, loin du génie scientifique que tente de faire revivre Robinson, le Ga-lilée de la version française se révèle alors du dernier balourd, confondant les concepts, employant un mot pour un autre, etc.
Passé le premier mouvement d’exaspération, on peut choisir de s’en accommoder en fermant les yeux sur les passages fautifs. Ce ne serait ni la première, ni sans doute la dernière fois. On peut aussi décider de lire cette version telle qu’elle est. Et là, surprise ! Si ce nouveau Rêve de Galilée n’a plus grand-chose à voir avec la version originale, dans son rapport à la science du moins, il tient presque aussi bien debout et ouvre de nouvelles pistes très intrigantes. Mieux : il apparaît comme une réinterprétation radicale de la naissance de la science moderne.
Cette version alternative n’y va pas par quatre chemins. La gloire de Galilée y est très surfaite. L’aplomb du soi-disant physicien impressionne ses femmes et ses domestiques, ainsi que quelques protecteurs puissants et généreux ; mais ce n’est en fait qu’un cuistre incompétent. Comment pareil personnage peut-il avoir eu une telle influence sur la science ? C’est que, comme l’expose sans ambages la quatrième de couverture, Galilée « va naviguer entre le XVIIe siècle et le quatrième millénaire, rapportant de ses voyages dans le futur de quoi alimenter de nouvelles découvertes ». Tricheur, avec ça ! Les motivations de ses visiteurs du futur, tout sauf scientifiques, étant également des plus douteuses, l’ensemble constitue une uchronie assez fascinante, un mythe burlesque des origines de la science à mi-chemin entre Le Voyageur imprudent et Tartuffe.
Si c’est un accident de traduction, il est peu banal ; mais s’il s’agit d’une mystification littéraire — chapeau bas !