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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2003 dans Bifrost n° 29

Vous me connaissez : ce n'est pas mon genre de dire du mal des gens…

Mais pour être clair : ça faisait un sacré bout de temps que l'abbé Ruaud nous rebattait les oreilles avec Peter S. Beagle et, franchement, je ne voyais pas pourquoi…

Car il faut bien avouer que La Dernière licorne, que Dumay avait publié parmi les tous premiers titres de sa collection « Lunes d'encre » chez Denoël, ça n'avait rien de convaincant : une histoire un peu cucul de gentille licorne qu'elle est la dernière de sa race et qu'elle sort dans le vaste monde qu'il fait rien qu'à être méchant avec elle… D'accord, ça se teintait d'un rien de psychanalyse, les situations étaient plutôt bien gérées en dépit de prémices pas folichonnes, mais tout ça restait bien classique, bien gentil.

Et puis avant ça, il y avait eu les deux petits recueils chez « Présence du futur ». On ne dira rien de la maigreur des recueils en question, hein, parce que l'auteur n'y pouvait rien et que la collection étant disparue, paix à son âme, tout ça tout ça… Mais les nouvelles ? Bien troussées là encore, il est indéniable que Beagle a un sacré savoir-faire, une sorte de petite musique bien entêtante, bien subtile. Pourtant, le cadre de ces petites fables demeurait (trop) traditionnel : un univers pseudo-médiéval comme on en trouve encore et encore dans toute la fantasy, voilà qui n'était pas tout à fait ma tasse de thé, moins encore mon bol de whisky… Et l'abbé Ruaud de continuer à dire et à écrire un peu partout, notamment dans sa Cartographie du merveilleux (Folio « SF ») que Beagle est un auteur à découvrir, passionnant, puissant. Je trouvais qu'il en faisait un poil trop, l'abbé Ruaud.

Et puis voilà : vlan ! Le Rhinocéros qui citait Nietzsche.

Je bats ma coulpe : Peter S. Beagle est un génie. Excusez du terme : je sais bien que « génie » est une appellation usée jusqu'à la corde, très largement vidée de son sens. Alors nommez ça comme vous le voudrez, mais pour moi, c'est « génie ».

Sur les six textes réunies ici (oui, six, pas sept comme l'indique le rédacteur du quat' de couv' qui ferait bien d'apprendre à compter…), quatre au moins sont de purs chefs-d'œuvre, de formidables réussites : « Le Professeur Gottesman et le rhinocéros indien » (touchant et original), « Entrez, Lady Death » (glaçant et poétique), « Lila le loup-garou » (marrant et chaud) et, last but not least, la novella « Une Danse pour Emilia » (une renversante histoire de fantôme, dont la fin m'a quasiment arraché des larmes — si !). Et là, le petit Cid (plus habitué à faire des descentes en flammes que des panégyriques) de ne plus trouver ses mots pour dire la subtilité de touche, la tendre ironie de ton, l'originalité d'inspiration, le souffle mythique et la douce nostalgie…

Alors, qu'on se contente de savoir qu'il s'agit d'un recueil français original (deux fonds de tiroir peu engageants ont été expurgés du recueil américain, et la novella finale a été ajoutée, qui n'était parue jusqu'à présent que sous la forme d'une plaquette spéciale pour le Noël de je ne sais quel éditeur anglo-saxon). Chapeau Folio, ça c'est du vrai boulot d'éditeur. Quant à vous, lecteurs, précipitez-vous donc sur cet ouvrage : rares sont les livres à nous avoir à ce point montré combien l'art nouvellistique méritait le qualificatif de « merveilleux ».

CID VICIOUS

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