Connexion

Les critiques de Bifrost

Le Rivage des femmes

Stéphanie NICOT
MNÉMOS
560pp - 25,00 €

Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118

Mnémos a la très bonne idée de rééditer cet excellent roman de SF féministe, initialement publié en VO en 1986, et indisponible depuis plus d’un quart de siècle en France. Dans le futur imaginé par Pamela Sargent — que l’on connaît aussi comme anthologiste de la SF écrite par des femmes — les hommes, par leur propension innée à la violence, ont détruit le monde tel que nous le connaissons. Lors de sa reconstruction, les femmes ont pris les choses en main, et instauré une société dans laquelle les hommes n’ont plus d’autre fonction que d’assurer la reproduction. Les femmes sont regroupées dans des enclaves bénéficiant de tout le confort, là où les hommes sont rejetés en dehors, dans des zones inhospitalières où ils tentent de subsister, luttant en bandes pour la possession d’un bout de territoire. Ils sont de temps en temps appelés par les femmes, au travers d’un dispositif de suggestion mentale, qui assimile celles-ci à l’image omnipotente de la Déesse désincarnée pour que leur semence soit recueillie pendant qu’ils rêvent d’accouplement. Les relations sexuelles dans chacun des deux mondes sont, de fait, homosexuelles. Un jour, une jeune femme, Birana, est expulsée de son enclave à cause de sa mère, meurtrière d’une de ses semblables, et qu’elle n’a pas dénoncée. Dans le monde sauvage, Birana fait la connaissance d’Arvil, un jeune homme qui tombe immédiatement sous son charme, et qui va tenter de conquérir son cœur, ce qui semble d’emblée assez compliqué étant entendu que dans ce futur, de par la séparation des genres, l’hétérosexualité a totalement disparu…

Le postulat de départ de ce fort roman de 550 pages — la destruction de la société patriarcale par ceux-là mêmes qui la dirigent, les hommes, et sa réinvention par les femmes — est assez savoureux dans son retournement initial. Une fois le décor posé, l’autrice nous livre néanmoins une analyse plus fine qu’une dichotomie binaire qui voudrait qu’il y ait les méchants d’un côté, les gentilles de l’autre : dans la société éveillée des Mères, tout n’est pas utopique, loin de là, puisqu’on y retrouve des jalousies, des trahisons, et qu’on peut expulser une femme qui refuse de se conformer aux règles en vigueur ou envoyer des drones abattre des êtres masculins rebelles. Alors que parmi les hommes, réputés aussi violents les uns que les autres, certains essaient de comprendre pourquoi la déesse les maintient dans cet état sauvage, et comment s’améliorer pour espérer que le fossé entre les deux sexes s’amenuise. Birana et Arvil vont peu à peu trouver leur voie entre leurs deux mondes, au gré d’une découverte mutuelle des préjugés et des blocages de chacun d’entre eux, et de rencontres qui vont tantôt conforter, tantôt ébranler leurs certitudes. Pamela Sargent aborde ici nombre de questions sur les notions de genre, l’égalité des sexes, le rapport à la maternité et aux relations sexuelles (consenties ou imposées), les mécanismes de domination, le libre arbitre, etc. dans un roman d’aventures rythmé, où la tolérance s’érige en choix de vie, sans toutefois tomber dans une ferveur idyllique qui de toute façon s’accorderait mal de la situation initiale. C’est très intéressant, subtil, prenant, et résolument moderne dans sa façon de traiter des problématiques que ce xxie siècle, marqué par les mouvements de type #MeToo, a choisi d’aborder frontalement. Un classique passionnant et salutaire.

 

 

 

Bruno PARA

Ça vient de paraître

Le Magicien de Mars

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 118
PayPlug