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Les critiques de Bifrost

Le Roi d'arbres et autres nouvelles

(non MENTIONNÉ), Yves REMY
LE VISAGE VERT
444pp - 22,00 €

Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117

Après Boireau, Wintrebert, Warfa, Cham­petier, Léourier et d’autres, voici que c’est désormais à Yves et Ada Rémy de sacrifier à cette mode des forts recueils en forme de bilan. Pour le troisième volume qu’il leur con­sacre, Le Visage Vert nous offre une quasi intégrale dont ne sont exclus que les textes contenus dans Le Prophète et le Vizir, qui avait marqué le retour du couple sur la scène littéraire en 2012 après des années de silence et ceux des Soldats de la mer, formidable fix-up qui marqua son entrée tonitruante dans le monde du fantastique.

Tonitruant, un mot qui ne convient précisément pas à l’œuvre des Rémy, même s’il aurait dû, en tout cas sur le plan de la reconnaissance publique. Mais force est de constater que d’un point de vue littéraire, leur fantastique est tout sauf tapageur. Fin et subtil, il s’insinue aux lisières du monde, dans des brumes matutinales ou quand naissent les ombres entre chien et loup. On le devine à la limite du champ de vision, mais dès que l’on cherche à le voir bien en face, il n’est plus là. On est passé de l’autre côté du miroir et c’est notre réalité conventionnelle qui soudain ne l’est plus, estompée, voilée, nous nous retrouvons juste un pas à côté d’elle. L’Ima­ginaire des époux Rémy, qui parfois s’étend jusqu’à la SF, gît dans un léger gauchissement du monde, sur la frontière indécise entre fantasy et fantastique. La surnature est tapie quelque part. Elle ne fait pas irruption dans la réalité, comme souvent dans le fantastique traditionnel ; elle ne se révèle pas ; furtive, embusquée à l’orée du monde, presque absente, ne se laissant qu’à peine deviner et, quand vous croyez l’avoir enfin saisie, elle vous a entrainé dans son ailleurs.

Le Roi d’arbres et autres nouvelles, ce sont 21 textes dont 9 inédits, écrits sur un demi-siècle. Deux sont des pièces radiophoniques. Les plus longs sont sans doute les meilleurs, mais même les textes qui ne font que quelques pages ne sont pas dénués d’intérêt. « Le Roi d’Arbres » nous emporte Au cœur des ténèbres au fil du fleuve. Où le court roman de Joseph Conrad aurait presque pu être fantastique, tel un récif recouvert par la mer à marée haute, le voilà sous la plume des Rémy affleurant à marée basse, mais jamais une île, toujours prêt à disparaître. Une plongée onirique jusqu’au fond d’un rêve tropical halluciné d’où émerge le personnage réduit à son peu d’humanité.

Les Rémy aiment les doubles et les fantô­mes qui sont souvent un peu plus que ce qui reste quand la chair n’est plus. Eux-mêmes apparaissent dans deux textes (dont l’un est paru dans le n° 79 deBifrostqui leur fut con­sacré). La musique leur tient aussi beaucoup à cœur, puisqu’ils sont les auteurs de deux monographies sur Brahms et Mozart. La musique et l’art en général, qui est au cœur de leur œuvre.

La dernière partie (Annexe) comporte quatre courtes nouvelles, où la romance se mêle à la SF et au fantastique, qui parurent à l’origine dans Mademoiselle âge tendre. Des textes destinés à un jeune public féminin, donc, mais qui ne méritent pas moins leur place ici.

Les Rémy vous tendent une mare comme un miroir ne demandant qu’à se brouiller le temps de passer sous la surface des apparences. Leurs textes sont autant d’interstices par lesquels notre monde apparaît comme presque réel.

Un recueil qui confirme amplement la place de premier plan qu’occupe ce couple d’auteurs dans la littérature fantastique.

 

 

 

Jean-Pierre LION

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