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Les critiques de Bifrost

Le Roi d'ébène

Le Roi d'ébène

Christine CARDOT
MNÉMOS
240pp - 18,30 €

Bifrost n° 62

Critique parue en avril 2011 dans Bifrost n° 62

L’Arrassanie, quelque part entre l’Egypte et une Afrique Noire fantasmée. El Phâ, le Roi d’Ebène, dirige en stratège politique son territoire et son peuple. Pour l’aider dans sa tâche, les Sentinelles, corps d’élite de défense du royaume, sortes de détectives aux capacités prémonitoires développées et au sens de la déduction aiguisé. Kaïrale, dit le Ratel, en fait partie. Elle est considérée comme l’une des Sentinelles les plus brillantes, les plus compétentes, les plus téméraires… et les plus incontrôlables

Remarquée par le Roi, celui-ci va lui demander de devenir l’un de ses plus proches conseillers, son second Regard Clair, et lui confier une mission « diplomatique » de la plus haute importance. Comme il se doit, notre héroïne va vite se retrouver impliquée dans une machination politique complexe et découvrir que sa nomination ne doit rien au hasard ou à ses seules compétences de Sentinelle…

Sous une belle illustration de Vincent Dutrait se cache le premier roman de la française Christine Cardot. Le Roi d’Ebène n’est ni vraiment un roman de fantasy, ni véritablement un conte africain, mais quelque chose qui aurait réussi l’alchimie entre les deux — une tentative couronnée de succès, en somme.

Les personnages sont riches, charismatiques et attachant, et l’auteur a pris soin d’affiner leur humanité. Pas de manichéisme ici, les protagonistes doutent, ils ont peur, ils font parfois les mauvais choix. Bref, de l’héroïque empreint de réalité.

La faune, la flore, les coutumes, les mythes de l’Afrique sont utilisés avec justesse sans étouffer l’histoire et nous transportent au cœur de ce continent fascinant. La mise en scène est plutôt bonne même si l’enchaînement de l’intrigue souffre parfois d’un manque de fluidité que nous mettrons volontiers sur le compte du manque d’expérience.

A noter quelques passages magnifiques de réalisme sur les relations interpersonnelles, l’état amoureux, la féminité, l’amitié… Sans condescendance ni grandes envolées philosophiques, Christine Cardot fait partager, comme le précise la quatrième de couverture, « un univers personnel d’une grande richesse et une fine maitrise des sentiments humains. »

Juste pour le plaisir, quelques extraits à la volée : « Mon corps est un formidable instrument de travail. Il sert à merveille les mensonges les plus subtils comme les plus éphémères engagements. Cesse une fois pour toutes d’espérer de lui ce que je ne peux te donner » ; « Je garde la douleur, elle demeure mon bien, quand elle résonne en moi, c’est encore de toi. Puisque je t’ai perdue, pour le seul, l’éternel, je ferai de l’absence mon “nous” perpétuel » ; « J’étais le cœur qui apaisait la dernière Sentinelle, l’unique, celui sur lequel elle s’endormait. Mais en ce jour, désormais, ne battra plus que celui d’un assassin. Par amour et à jamais… ». Une bien belle plume.

Seule petite ombre au tableau concernant l’écriture, les dialogues sont trop souvent accompagnés de verbes déclaratifs : « rétor-qua-t-elle », « bougonna Kaïrale », « objecta N’mô ». Il y en a même du qui « grommèle » et qui « glousse » ! Dommage. D’abord parce qu’ils alourdissement grandement l’ensemble d’un texte au demeurant fluide et dynamique. Ensuite parce que les personnages de Christine Cardot n’en ont pas besoin, ils ne souffrent d’aucun déficit nécessitant l’utilisation de ces verbes piqués aux hormones de croissance.

Enfin, dernier point concernant l’édition : le roman est bourré de coquilles qui desservent un auteur prometteur au travail remarquable. C’est non seulement inadmissible quand on est un éditeur qui se prétend tel, mais incompréhensible quand une simple relecture par un correcteur aurait suffi à gommer ces boulettes plus que désagréables…

Si certains verront dans la chute du roman une queue de poisson, d’autres y espéreront la fin d’un épisode annonçant une suite. On fait partie de ceux-là. Sans nous avoir totalement frustrés, Christine Cardot aura donné l’envie d’en savoir plus, et c’est avec un vrai plaisir de lecture que nous reprendrons les aventures de la jeune Kaïrale, Sentinelle ou Regard Clair.

Hervé LE ROUX

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