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Les critiques de Bifrost

Le Roi en jaune

Le Roi en jaune

Robert William CHAMBERS, Christophe THILL, Ambrose BIERCE
LIVRE DE POCHE
416pp - 8,90 €

Bifrost n° 77

Critique parue en janvier 2015 dans Bifrost n° 77

Evidemment, il s’agit de littérature américaine. Dans le champ d’observation de l’écrivain, tout est utile. Et Chambers, même s’il n’est plus là depuis très longtemps pour nous en parler (né en 1865 à Brooklyn, il décédera à New York en 1933), illustre cette sobriété à merveille au long des pages du Roi en jaune. Les descriptions de la nature parisienne et de ses environs sont d’ailleurs souvent très belles. Il reste que ce recueil, paru en 1895, montre toutes les limites de l’exercice lorsqu’il est mal maîtrisé et qu’il souffre d’un manque de cohésion patent.

Ainsi, on passera tout de suite sur les cinq dernières nouvelles mettant en scène la vie de bohème parisienne de peintres américains interchangeables d’une histoire à l’autre, puisque toutes font écho à la propre vie de Chambers ; l’auteur aura en effet séjourné six ans dans la Capitale, de 1886 à 1892, et sera marqué durablement par cet épisode. Chacun de ces cinq textes, très creux et brossant une psychologie des personnages pour le moins expéditive, conte un amour naissant entre un jeune artiste et une Française tout aussi jeune et, bien sûr, toujours charmante. Et l’intérêt de la chose s’arrête là. Puisqu’il ne se passe rien d’autre. L’effet de radotage sur cinq nouvelles lasse de fait très vite.

Non, Le Roi en jaune vaut surtout pour les cinq premiers textes dont le fil rouge reste un ouvrage mystérieux, interdit, intitulé précisément Le Roi en jaune, et dont on ne saura jamais rien ; ce livre, sitôt refermé, rend quoi qu’il en soit fou ou pousse son lecteur à des actes irrémédiables. D’ailleurs, si Chambers est d’un ennui banal dans la mise en scène de la réalité du quotidien, point de départ volontaire de chaque texte, il prend toute sa mesure d’écrivain dès qu’il entraîne ses personnages dans le délire ou le fantastique. Il n’y a rien d’étonnant à ce que Lovecraft lui-même cite le recueil de l’Américain comme une référence ; et que l’univers lovecraftien résonne lui aussi, par contrecoup, des influences quasi directes du recueil de Chambers — influences qu’on retrouve en pointillé dans la série HBO True Detective, l’arrivée de cette dernière sur Canal + ayant décidé les éditions du Livre de Poche à repêcher ce classique méconnu là où il végétait depuis plusieurs années, à savoir au catalogue du micro-éditeur Mal-pertuis.

Finalement, Le Roi en jaune représente un bon raccourci de la carrière de Chambers balisée entre deux pôles irréconciliables : les débuts prometteurs d’un auteur qui a indéniablement quelque chose à dire, et sa lente, irréversible, métamorphose en pondeur de romans sentimentaux, genre avec lequel il fera très intelligemment, et jusqu’à sa mort, son beurre.

Les cinq premiers textes du recueil sont l’œuvre du premier, les cinq derniers relèvent du second, cet écrivain déjà en germe en 1895 et qui ne s’épanouira vraiment que dix ans plus tard. Le lecteur a priori curieux pourra donc s’arrêter sans état d’âme à la page 168. Puisque lui, le veinard, n’a pas de chronique à rendre à la revue Bifrost.

Ian POL

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