Cyrano DE BERGERAC, Louis DESNOYERS, Edgar Allan POE, Alexandre DUMAS, Jules VERNE, Herbert George WELLS, Pierre BOULLE
OMNIBUS
836pp - 26,40 €
Ce n'était pas, a priori, une mauvaise idée que de consacrer un Omnibus à la Lune. Comme l'explique Claude Aziza dans sa préface, celle-ci a donné lieu à des fictions dès l'Antiquité, est devenue le lieu d'utopies utiles à la satire sociale et un territoire à explorer, où donner libre cours à l'imagination avant que le roman scientifique, progressivement, ne tempère les délires et fantaisies en tenant compte des récentes découvertes astronomiques. On trouvera dans ce recueil quatre romans et trois nouvelles, ainsi qu'un dossier avec des extraits de quelques œuvres citées dans la préface.
Les Etats et empires de la Lune de Cyrano de Bergerac raconte l'expédition, par un moyen de locomotion fantaisiste (des fioles de rosée chauffées par le soleil attachées à la ceinture), sur un monde civilisé qui permet à l'auteur de philosopher avec les habitants mais aussi les Terriens qui l'ont précédé, comme les personnages bibliques Elie et Enoch, immortels pour avoir goûté le fruit de l'arbre de la vie. D'abord considéré comme un animal, le narrateur parvient à susciter l'intérêt par son esprit vif et voyage en compagnie d'un « démon », à savoir une femme que sa compagnie distrait. Sont successivement abordées les théories coperniciennes, la nature atomique de la matière, l'existence de Dieu ou de l'âme, et des différences sociales portant sur la sexualité, la santé, la guerre, la mort. L'ensemble témoigne d'une ouverture d'esprit et d'intuitions remarquables pour l'époque, qui s'éloignent d'une vision anthropomorphique du monde, le tout assaisonné d'aimables farces et plaisanteries dédramatisant certaines questions métaphysiques.
Le Voyage dans la Lune de Louis Desnoyers raconte l'expédition en ballon d'un certain Laroutine sur une Lune où l'imagination fantaisiste procède de l'inversion : éléphants-moustiques, hannetons géants, rivières de limonade ou de rhum et eau rare et chère. Les rois se nomment Brrrrrrr et Crrrrrrr, la ville, Krrrrstvlmpfbchqdngzx ; on y consomme des peupliers en salade, des mouches au riz et des guêpes truffées, bref, cette pitrerie de 1836 déconcerte d'autant plus qu'à la même période, Poe publiait son « Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall », nettement plus documenté puisque son voyageur, fuyant le meurtre de ses créanciers, a songé à se prémunir contre le froid et le manque d'oxygène à haute altitude. Plutôt que d'affronter l'incrédulité de ses lecteurs en décrivant la vie sur la Lune, Poe escamote le problème avec une astucieuse pirouette. Alexandre Dumas, avec « Un Voyage à la Lune », ne s'embarrasse pas non plus de vraisemblance mais se situe clairement dans le conte avec un voyage effectué à dos d'aigle et un retour sur des oies sauvages, tous dotés de la parole.
On connaît le sérieux et la précision arithmétiques de Jules Verne pour envoyer un équipage sur la Lune à bord d'un boulet de canon. De la Terre à la Lune ne manque pourtant pas d'humour, tempérant l'aridité de sa démonstration, en particulier dans la description des membres du Gun Club. Plus romanesque, Wells imagine une Lune creuse, pourvue d'une végétation luxuriante du fait de la faible gravité, d'animaux, et peuplée d'une société sélénite rappelant l'organisation de la fourmilière. Les Premiers hommes dans la Lune a perdu en crédibilité, mais les personnages fort bien campés de Wells, dont la consistance ne se limite pas à l'intrépidité d'explorateurs avides de découvertes, rend ce texte encore lisible aujourd'hui. « Les Luniens » de Pierre Boulle clôt ce tour d'horizon, relation de deux expéditions américaine et soviétique sur la face cachée de la Lune, pour une farce axée sur un quiproquo. On a connu Boulle plus inspiré.
S'agissant de romans sur la Lune, ceux ici choisis sont incontournables, quoique, l'accent étant mis sur le voyage, on aurait dû préférer Autour de la Lune au premier volume contant les préparatifs de l'expédition vernienne, au lieu des quelques extraits figurant dans le Dossier. On aurait pu aussi ajouter L'Histoire véritable de Lucien pour faire le tour des indispensables. Car on se sent malgré tout frustré devant ce volume bien moins épais que d'ordinaire, avec en outre une police de caractères plus grande, alors qu'on espérait que l'ouvrage rendrait disponibles nombre de textes rares ou mal connus. De ce point de vue, le Dossier qui suit irrite plus qu'il ne fournit de compléments de lecture. On aurait préféré découvrir au complet Le Songe d'un Kepler dont la seule édition française est toujours épuisée à l'heure actuelle, au lieu des deux maigres pages qui autorisent à faire figurer son nom sur la couverture. L'extrait de la pièce d'Edmond Rostand faisant allusion au roman de Cyrano est en revanche secondaire, voire superflue. S'il n'était pas possible de traduire pour la circonstance un des romans du polonais Zulawski, grand-oncle du réalisateur, l'exhumation d'un roman de Tsiolkowski comme En-dehors de la Terre aurait été possible, ou encore le premier tome, consacré à la Lune, des Aventures d'un savant russe de Henry de Graffigny. La partie critique se résume aux principales dates du parcours d'un auteur en guise de présentation, et à des bibliographies ultra courtes comme celle des romans modernes consacrés à la Lune, réduite à dix titres, dont cinq d'Arthur C. Clarke, considérés comme les « principaux ». C'est tellement sommaire qu'on aurait pu se dispenser de la donner, de même que celle de la BD, réduite au seul Tintin de Hergé. Bref, un Omnibus un peu décevant par son indigence.