Richard MARSH
JOËLLE LOSFELD
388pp - 5,10 €
Critique parue en janvier 2007 dans Bifrost n° 45
Injustement méconnu en France, Richard Marsh (1857-1915), est un écrivain anglais à redécouvrir d'urgence. Excellente idée, donc, de rééditer Le Scarabée, un roman paru en 1897, mais d'une modernité étonnante, et qui fait de Richard Marsh un authentique précurseur du thriller fantastique contemporain.
En plein cœur de Londres, à la fin du XIXe siècle, une étrange créature apparaît. Venue d'Egypte antique, elle semble avoir traversé le temps pour accomplir une terrible vengeance. L'objet de toute sa haine est un certain Paul Lessingham, un jeune politicien, brillant orateur, promis à un grand avenir. Mais sous son apparence de citoyen irréprochable, Lessingham ne cache-t-il pas un lourd secret ? Tapie au fond d'une maison abandonnée, la créature dresse son plan d'attaque. Pour Paul Lessingham et son entourage, l'épouvante commence…
Et c'est parti pour 386 pages d'une course-poursuite haletante. Car Marsh est un écrivain pressé : une intrigue énergique, une écriture nerveuse, enlevée. Des chapitres courts, des rebondissements incessants. Tout est fait pour que lecteur, hypnotisé mais ravi, soit dans l'incapacité physique de lâcher ce livre avant d'en connaître la conclusion. Et de ce point de vue, Le Scarabée, malgré son grand âge, n'a rien à envier à certains thrillers fantastiques actuels. Mais Marsh n'est pas seulement un écrivain pressé, c'est un écrivain malin. Aussi construit-il son intrigue. Le roman se divise en quatre parties, et à chaque partie le narrateur change. Le procédé n'était pas nouveau à l'époque (Wilkie Collins, entre autres, l'a beaucoup utilisé), mais Richard Marsh le fait très intelligemment : les quatre récits successifs se complètent, s'enrichissent mutuellement, et les personnages du roman y gagnent en complexité. Il a aussi la bonne idée de faire que le narrateur de la quatrième et dernière partie soit un personnage nouveau, jusqu'alors totalement extérieur à l'action ; ce qui donne à son point de vue une distance bienvenue. Bonne idée, d'autant plus qu'il s'agit d'un détective privé. Résultat, cette dernière partie a un petit côté « enquête à la Sherlock Holmes » très excitant.
L'autre curiosité de ce roman, décidément plein de surprises, c'est le contenu sexuel très explicite de certaines scènes (et notamment celles où la créature apparaît pour la première fois). D'ailleurs, sous prétexte que cette créature se métamorphose à volonté, Richard Marsh s'amuse, tout au long du récit, à entretenir une certaine ambiguïté quant à l'identité sexuelle réelle de la créature. Mâle ? Femelle ? Difficile à dire… Dans l'Angleterre très puritaine de l'époque, il fallait oser ! Richard Marsh est donc aussi, à sa manière, un écrivain courageux.
Autant de raisons de se ruer sur cette réédition. En attendant — avis aux éditeurs — une édition française des autres romans fantastiques de Richard Marsh.