Lorsque s'est achevé Les Légions immortelles, premier volet du faux diptyque et vrai roman coupé en deux Succession, Laurent Zaï, le commandant de la frégate impériale Lynx, se trouvait en fâcheuse posture. Après avoir successivement échoué dans une mission de libération d'otage — la sœur de l'Empereur, quand même —, refusé le poignard de la faute de sang sanctionnant cet échec et déjoué une mutinerie, l'officier talentueux s'était vu confier une ultime mission en forme de suicide programmé. Dès l'ouverture de ce second volet, nous ne sommes pas confinés longtemps dans une attente insupportable. Tous les avertisseurs dans le rouge, les armes déployées et sa configuration interne refaçonnée, le vaisseau impérial monte à l'assaut du croiseur Rix annoncé à la fin du précédent volume. La mission est claire : détruire l'antenne mise en place par celui-ci et ainsi l'empêcher de capter le secret de l'Empire détenu par la conscience composite qui phagocyte le réseau planétaire de Legis XV.
Et c'est parti pour 158 pages (sur 440) d'affrontements par drones interposés, d'échanges de tirs avec des armes effrayantes — micro-missiles, canons à gravité, lasers et j'en passe —, d'esquives, d'accélérations gravitiques inhumaines, de joute chevaleresque (si si !), de considérations tactiques, de coups de théâtre, de sang, de décompressions explosives et de psychologie en berne ; le grand folklore habituel du space opera mais narré de manière efficace. En fait, Succession est sur ce point l'équivalent littéraire d'un blockbuster chargé à bloc. On en prend plein la tête et on en redemande. Et puis, passé cette première partie éprouvante au rythme resserré, le cadre change. Le récit alterne désormais les scènes dans l'espace autour de Legis XV et celles se déroulant dans la capitale impériale. De même, l'enjeu de l'affrontement se déplace mais cela, on le pressentait déjà dans Les Légions immortelles. L'attention se fixe sur ce fameux secret de l'Empire, pivot de la suprématie de l'empereur et de la stabilité politique et sociale des quatre-vingt mondes humains qu'il gouverne. L'auteur plonge le lecteur au centre des luttes entre factions à la cour impériale en lui faisant épouser la cause du fort empathique sénateur Nara Oxham, par ailleurs amante de Zaï. La tension change de nature et les intrigues politiques, sans être totalement tordues, restent d'autant plus intéressantes que se posent des questions déterminantes pour l'avenir de cette post-humanité.
Succession demeure un concentré jouissif d'action et de sense of wonder, il est tout à fait inutile de le nier. Cependant, le roman fourmille également de nombreuses bonnes idées et on y sent poindre en filigrane ce vertige spéculatif et ces relations troubles et troublantes entre le silicium et la chair que l'on avait perçus dans le chef-d'œuvre — j'assume l'emploi du terme — de l'auteur, L'I.A. et son double. Ainsi la touche Westerfeld opère-t-elle subtilement pour contrer une sortie d'histoire besogneuse à la Alastair Reynolds — je pense au cycle des « Inhibiteurs » en particulier —, ou décevante, façon Ken MacLeod : souvenez-vous du très récent La Veillée de Newton. Pourtant, ce second volet offre moins de moments d'intimité, comme le permettaient les flash-back contemplatifs du premier. L'heure n'est plus à la flânerie car le cadre et les personnages sont posés. Scott Westerfeld déroule donc son récit sans se perdre dans les méandres filandreux d'une intrigue qui tirerait à la ligne. Tout juste s'autorise-t-il à achever son roman sur une touche romantique — l'amour plus fort que tout — que certains jugeront peut-être too much. Qu'ils se consolent, car le récit aboutit finalement à un dénouement logique que l'on pourrait résumer par la formule de Paul Valery : toutes les civilisations sont mortelles. Fort heureusement, se permettra-t-on d'ajouter.