Si l’objectif était de ne pas passer inaperçu, Le Seigneur des guêpes, premier roman publié de Iain Banks, l’a parfaitement atteint en se mettant à dos une partie de la critique littéraire britannique, outrée par les horreurs ici décrites. Et on peut en effet reconnaître à cette œuvre un côté dérangeant, voire malsain, tant sur le fond que sur la forme. L’histoire est celle de Frank Cauldhame, gamin de 16 ans vivant seul avec son père sur une minuscule île au large de l’Écosse. Au fil des chapitres, on le suit dans ses activités quotidiennes, consistant pour l’essentiel à entretenir ses Mâts de sacrifice constitués de cadavres d’animaux, à bricoler des armes improvisées lui permettant de chasser le petit gibier avec une cruauté rare, ou à se recueillir devant le Sanctuaire aux Guêpes, instrument de torture construit de ses propres mains et dissimulé au grenier. Autant d’agissements étranges, parfois effrayants, que le narrateur nous présente avec une froideur et une absence d’affect qui accentuent encore l’impression de malaise. On apprend aussi très vite, de sa bouche même, qu’il est l’auteur de trois meurtres d’enfants, le premier commis alors qu’il était âgé de six ans. Ajoutez à cela un père adepte des théories du complot les plus improbables, et un frère aîné tout juste échappé de l’asile psychiatrique, et vous obtenez le portrait d’une jolie famille de cinglés.
Pourtant, derrière l’horreur apparente se dissimule à peine un humour noir et pince-sans-rire assez irrésistible. Un tir au lapin qui tourne à la corrida lorsqu’un spécimen géant se jette à la gorge du chasseur ; les occasionnelles virées au pub de Frank, son meilleur ami juché sur ses épaules, s’achevant dans le caniveau ; même les meurtres des enfants amusent plus qu’ils ne choquent, les méthodes employées rappelant davantage celles mises en pratique par Bib Bip pour se débarrasser de Vil Coyote que le modus operandi habituel des serial killers de fiction. Sans parler du père, capable d’identifier l’alcool consommé par son fils à l’odeur de ses pets. Jusqu’aux explications finales sur le comportement de Frank, invraisemblable délire pseudo-freudien qui pousse le grotesque au-delà de toute limite.
Alors, récit d’horreur ou comédie ? Les deux, assurément. Le Seigneur des guêpes, c’est un roman de Terry Pratchett écrit par Thomas Harris, un sketch des Monty Pythons réalisé par Sam Peckinpah, un strip de Calvin et Hobbes dessiné par Druillet. Amateurs de premier degré s’abstenir.