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Les critiques de Bifrost

Le Son du cor

Le Son du cor

O. SARBAN
MNÉMOS
272pp - 17,00 €

Bifrost n° 88

Critique parue en octobre 2017 dans Bifrost n° 88

Mnémos réédite un étrange roman de 1952, dû à un auteur britannique rare au pseudonyme de Sarban. Le Son du cor a son titre de gloire : il est probablement la première uchronie usant du thème ensuite rebattu de la victoire des nazis durant la Seconde Guerre mondiale – dix ans avant Le Maître du Haut-Château.

Mais catégoriser ainsi le roman n’est peut-être pas si évident : on a pu contester son caractère d’uchronie, ou de roman de science-fiction – on soulignera aussi une certaine ambiguïté sur le mode onirique (peut-être tout ceci n’est-il qu’un cauchemar), sans oublier de constater que l’horreur prime sans doute sur tout le reste, une horreur empruntant son thème au film de 1932 Les Chasses du comte Zaroff ; autant parler, quitte à risquer l’anachronisme, de survival.

Le roman s’ouvre sur un aimable débat dans un salon so British, peu après la victoire des Alliés ; les convives discutent de la chasse à courre, pro et contra… mais Alan Querdillon ne goûte pas la plaisanterie – il associe ce loisir à la terreur, à l’indicible…

Il en confesse la raison : prisonnier de guerre en Allemagne, il a fait une tentative d’évasion en 1943 qui a mal tourné. Il s’est évanoui… et s’est réveillé dans une chambre d’hôpital, dont le personnel allemand se montrait plutôt bienveillant – inattendu, pour un évadé… Mais les bizarreries s’accumulent, et Querdillon comprend enfin, sans savoir comment ni pourquoi, qu’il se trouve en l’an 102 du Reich de Mille Ans ! Car les Nazis ont gagné la guerre il y a longtemps…

Ils ont édifié un monde hideux et régressif – l’oppression y est toujours de mise, et le comte Hans von Hackelnberg, Grand Veneur du Reich, la personnifie… lui dont le loisir est de chasser des êtres humains ! Et bientôt Querdillon.

C’est le cœur du roman : une longue et éprouvante séquence de chasse… qui a aussi sa part de fantasme sordide, à l’évidence. Le roman a quelque chose de sadien, et les nazis de ce Silling forestier peuvent anticiper les fascistes du Salò de Pasolini… Ce qui a amené quelques commentateurs à se pincer le nez : roman « répugnant », « ambigu », « suspect »… Autant de jugements moraux qui tiennent du préjugé regrettable. Le roman n’a en fait rien de suspect ou d’ambigu – et, pour en finir avec Sade, il est assurément inoffensif au regard des écrits les plus outranciers du Divin Marquis. C’est finalement une œuvre assez morale – et peut-être même au sens conventionnel… Sans l’hypocrisie des films de « nazisploitation » qui connaîtraient bientôt un improbable succès d’exploitation. Mais il joue bien d’une certaine forme d’excitation perverse – plutôt avec réussite, d’ailleurs : c’est un beau cauchemar, aux scènes puissantes, et tant mieux s’il est dérangeant…

Il n’est cependant pas sans défauts, et, s’il constitue un document intéressant, est-ce pour autant un bon roman ? Forces et faiblesses font la balance – mais relevons un rythme guère assuré, un didactisme parfois malvenu, un jeu d’équilibriste qui n’échappe pas toujours au ridicule, et une plume insipide (peut-être pas aidée par la traduction).

Roman intéressant conspué pour de mauvaises raisons ? Oui, probablement. Bon roman ? C’est plus douteux – au pur plan romanesque, Le Son du cor, inégal, est sans doute un peu médiocre — constat d’autant plus regrettable que ce qui fonctionne, dans ce roman étrange, fonctionne très bien…

Bertrand BONNET

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