Il arrive, même aux plus remarquables auteurs, de se fourvoyer à l’occasion. Gene Wolfe compte au nombre des plus remarquables écrivains anglo-saxons des domaines de l’Imaginaire et figure parmi les stylistes les plus accomplis. De ce qui nous a été traduit dans la langue de Molière, il n’y a rien à jeter… hormis ce Sortilège de Castelview, qui ressortit à la fantasy urbaine – des univers où le merveilleux, le fantastique, ne font pas à proprement parler irruption dans notre monde mais y sont monnaie courante.
Castelview est une petite bourgade de l’Illinois profond où ja- mais rien ne se passe si ce n’est qu’à l’occasion, il est possible d’apercevoir au loin le château… Il n’y aurait pas là de quoi fouetter un chat si, précisément, il n’existait point de château dans les environs, en dépit de tous ceux qui l’ont aperçu, avec de notables différences toutefois. Will Schields, qui vient de faire l’acquisition du garage d’occasion de la petite ville, l’a vu, lui aussi, depuis le grenier de la maison qu’il envisage d’acheter pour lui-même, sa femme et sa fille. Tom et Sally Howard devaient vendre celle-ci, contraints à déménager suite à la promotion obtenue par monsieur ; or, le voilà qui meurt soudain… Les Schields manquent de peu d’avoir un accident de la route sous la pluie diluvienne s’abattant sur Castelview, n’évitant que de justesse un cavalier juché sur un immense cheval qui s’avérera, plus tard, compter huit pattes ! Et c’est parti pour un enchaînement de péripéties dont on se demande bien où elles vont nous mener.
Outre les Schields, Will, Ann et Merce, on a toute une ribambelle de personnages. Ajoutons la fée Morgane Viviane, un docteur elficologue et, pour faire bonne mesure, G. Gordon Kitty, un chat qui parle ! Soit une vingtaine de personnages à qui il arrive des tas de trucs dans cette ville où rien n’arrive jamais, bien qu’elle soit frontalière du pays des fées… Saupoudrez tout ça d’un zeste de Matière de Bretagne et le tour n’est pas du tout joué…
L’intrigue est des plus mal élaborée qui soit. On assiste à un enchainement de péripéties sans queue ni tête, se balançant d’un cliffhanger à l’autre comme Tarzan de branche en branche. Wolfe en abuse, mais c’est ce qui rend en fin de compte la lecture supportable. Si, à la fin du livre, les divers protagonistes semblent avoir plus ou moins compris ce qu’ils y faisaient, ce n’est pas le cas du pauvre lecteur qui ne parvient ni à démêler ni à trancher le nœud gordien de cette histoire à dormir debout, et reste le bec dans l’eau sans rien avoir compris des tenants et aboutissants, ignorant le pourquoi du comment jusqu’à la fin.
S’il est un livre de Gene Wolfe à éviter, ce doit être celui-là !