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Les critiques de Bifrost

Le Souffle du temps

Le Souffle du temps

Robert HOLDSTOCK
FOLIO
414pp - 9,90 €

Bifrost n° 34

Critique parue en avril 2004 dans Bifrost n° 34

Planet Opera contemplatif publié en 1981, Le Souffle du temps complète le travail de « Lunes d'encre » sur Robert Holdstock. Avec ce roman de « presque jeunesse » (l'auteur a trente-trois ans quand paraît le livre), le lecteur curieux découvrira un Holdstock étonnant et peu connu, à des années lumières des sombres histoires celtiques qui ont fait son succès.

De fait, Le Souffle du temps mêle avec bonheur (mais lenteur) description d'un monde radicalement étranger, voyage dans le temps, réflexion sur l'incommunicabilité et éloge de la différence. Un cocktail somme toute passionnant, même si l'histoire n'est pas faite que de rebondissements et d'action. Ici, pas d'extraterrestres gluants ni de vaisseaux spatiaux belliqueux, mais bien l'itinéraire personnel d'un homme, à la recherche de signification, de sens et d'histoire. Dès lors, c'est la planète elle-même qui accède au statut de personnage à part entière, tout comme l'attente et la folie. Si Solaris est cité dans la quatrième de couverture, ce n'est pas innocent, Le Souffle du temps proposant une relecture radicale du « contact », tellement usé en S-F. Le Monde inverti est également invité, mais d'une manière sans doute plus subtile, dans la description d'une réalité subjective, capable de pervertir la réalité objective, si tant est que ce concept ait encore un sens.

Le Souffle du temps se déroule sur Kamélios, alias le monde de VanderZande. Une planète toxique, changeante, traître et dangereuse, sur lequel les humains tentent de survivre via différentes méthodes. L'exploration pure et simple, avec non pas des scaphandres, mais des masques filtrants (les conditions de pression et de température n'ayant rien d'effrayant) et depuis une sorte de cité-bulle baptisée la Cité d'Acier, ou bien l'installation sous forme de communautés agricoles, après modification physique et biologique des humains qui les composent. Deux philosophies évidemment incompatibles, avec la méfiance réciproque que cela entraîne. Au-delà de ce postulat social déjà propice au débat d'idées, Kamélios intéresse tout particulièrement les pionniers en tant qu'anomalie temporelle. En effet, certains vents (pas tous) ont des effets sur la nature même de la réalité, emportant ou ramenant des objets dans les brumes du temps. Kamélios regorge d'épaves manifestement extraterrestres, déposées par le souffle du temps pendant quelques semaines, avant de disparaître suivant la même méthode. Incompréhensible et inconcevable, ce « voyage dans le temps » est-il un moyen de transport extraterrestre d'une race ayant jadis habité Kamélios ? N'est-ce au contraire qu'un fantasme, une sorte de travestissement illusoire directement issu de l'esprit humain qui l'observe ? Certains pionniers en ont fait l'expérience en disparaissant dans le souffle du temps, mais aucun n'a pu revenir pour témoigner.

Dans ce cadre mystérieux, les explorateurs développent une société curieuse, basée sur la chance et le hasard, avec des lois implicites difficilement crédibles. Pourtant, le quotidien prend toujours le dessus, le monde de VanderZande ayant l'étrange particularité de changer les humains, temporairement d'abord, puis définitivement. Lassitude, ennui et parfois folie sont souvent au bout de la route, notamment pour Leo Faulcon, dont la vie manque singulièrement d'intérêt. Faisant équipe avec son amante Léna, tous deux s'associent avec Kris, un nouveau venu pas encore contaminé par Kamélios et dont l'enthousiasme reste entier. Ensemble, ils découvrent une épave sur le rivage d'une mer calme, une épave qui n'apporte rien de concret, mais qui symbolise le point de départ d'une vraie révolution. Kris a en effet un secret. Il est venu sur Kamélios pour retrouver son frère Mark, emporté par le souffle du temps quelques mois plus tôt. Pour Kris, cela ne fait aucun doute ; Mark est vivant, quelque part dans un ailleurs inaccessible, mais vivant. Dès lors, de révélations en révélations, Leo retrouve son énergie perdue, découvrant peu à peu la nature de Kamélios, et un sens général à défaut d'une explication.

Si Le Souffle du temps peut laisser sceptique quant à ses tenants et aboutissants, il détonne néanmoins par son originalité sombre et désincarnée. La plume est rarement légère, toujours profonde, distante, installant un climat de malaise et d'attente parfois pénible. Au final, pas de révélations fracassantes, mais des pistes originales et intelligentes, qui ne font rien d'autre qu'évoquer des possibilités. Au-delà de son aspect strictement descriptif, Le Souffle du temps n'est pas dénué de poésie et de mystère, d'où un plaisir de lecture indéniable, mais pas forcément convainquant. Une curiosité à découvrir, sans doute réservée aux plus motivés.

Patrick IMBERT

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