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Les critiques de Bifrost

Le Souper des maléfices

Christophe ARLESTON
ACTUSF
396pp - 19,00 €

Critique parue en avril 2017 dans Bifrost n° 86

[Critique commune à Anasterry, Le Souper des maléfices et Les Poisons de Katharz]

Alors que tous les capteurs semblent indiquer un retour en force de la science-fiction en librairie, les éditions ActuSF ont fait, à l’automne 2016, un étonnant pari : lancer une collection de fantasy d’auteurs francophones. Mauvais timing ou caractère éminemment visionnaire ? Qui sait ? Nommée « Bad Wolf », la collection est en fait la reprise d’une marque éponyme développée à compte d’auteur par les signataires des trois romans qui nous occupent, tous scénaristes de BD, et qui signaient là leur premier roman. Il ne s’agit donc pas d’inédits à proprement parler, même si l’édition initiale sous le label Bad Wolf (2015) se cantonnait à une édition numérique…

Publié en éclaireur en août dernier, Anasterry est l’œuvre d’Isabelle Bauthian. Sur la vaste presqu’île de Civilisation, la baronnie d’Anasterry fait figure d’îlot de progressisme et de paix. En guise de punition pour une vétille, Renaldo, second fils du baron de la baronnie voisine de Montès, et son meilleur ami, Thélban Armanville, sont envoyés à Anasterry afin d’espionner et, éventuellement, déceler une faille dans l’irréprochable État. Pour les beaux yeux de la cheffe des gardes, les deux compères s’aventurent dans les marais, zone expressément interdite, et y aperçoivent un monstre. Mais voyons, il n’y a pas de monstres à Anasterry, malgré la tolérance suspecte de la baronnie envers tous ces êtres n’ayant pas un sang humain pur. Voilà qui soulève un problème, à même d’ébranler l’équilibre délicat d’Anasterry… En dépit de Renaldo, héros falot auquel on préfèrera son acolyte Thélban, et d’une longueur un brin excessive (écourté de cent pages, il aurait gagné une nervosité qui lui fait défaut), ce premier roman d’Isabelle Bauthian se révèle agréable à la lecture et se confronte avec justesse à des thèmes hélas toujours actuels – le féminisme, le racisme, la paix et les moyens de la conserver. Premier volume, ou plus précisément, « première version » des « Rhéteurs », ce tome introductif se termine par un intrigant épilogue qui suscite une curiosité certaine envers la suite.

Le Souper des maléfices prend pour cadre la ville de Slarance, qui subit une curieuse pénurie de blé. Du moins, le bon blé est-il remplacé par un succédané, ce qui cause la production de pain et de bière de mauvaise qualité, ceux-ci ayant pour étrange effet secondaire de provoquer une émolliente accoutumance. Zéphyrelle, la dernière (mais pas la meilleure) agente en vie des services secrets du dynarque, le souverain éclairé de Slarance, enquête sur cette pénurie. De son côté, l’émérite cuisinier Fanalpe se retrouve à tenter le tout pour le tout pour séduire Fiollulia, nièce lointaine du dynarque, quitte à fouiner dans des grimoires où il ne devrait pas mettre le nez. Forcément, les chemins de Zéphyrelle et Fanalpe se croiseront au rythme tortueux de l’enquête… Signé du père du célébrissime Lanfeust, Le Souper des maléfices est une aventure des plus sympathique ; Arleston y déploie une galerie de personnages truculents dans une ville colorée et chatoyante, et y fait preuve d’une jolie inventivité dans le domaine culinaire. Qu’importe si le roman porte peu à conséquence : un peu de légèreté ne fait pas de mal dans ce monde de brutes, et ce Souper… se déguste comme une friandise.

Last but not least, Les Poisons de Katharz, premier volume des « Chroniques des terres d’airain », est signé de la directrice de collection, Audrey Halwet. Comme dit le proverbe : on n’est jamais si bien servi que par soi-même – mais ne préjugeons pas. Le roman débute quelques jours avant l’apocalypse. La ville-prison de Katharz est bâtie au-dessus du corps d’un démon ; hélas, une prophétie affirme que le monstre s’éveillera dès lors que cent mille âmes seront réunies au-dessus de lui. Et la cité est sur le point d’atteindre ce nombre, en dépit des efforts incessants de Ténia Harsnik pour réduire drastiquement la population, quitte à encourager meurtres et violences… La situation s’aggrave avec l’approche de troupes ennemies désireuses de raser ce foyer de sale engeance. Il faut trouver une solution, et vite. Or, Dame Carasse, sorcière de son état, l’une des rares capables de sauver la situation, s’absente de Katharz pour mieux revenir avec un disciple pour le moins particulier… Se plaçant d’emblée sous le haut patronage de Terry Pratchett, Les Poisons de Katharz flirte avec la fantasy humoristique – et on sait bien que l’humour est l’une des choses les moins partagées du monde. De fait, les notes de bas de page sont souvent de trop et certains traits échouent à faire mouche ; néanmoins, le roman s’amuse des codes et fait preuve d’une adorable cruauté envers ses personnages. Tenant bien la route jusqu’à son dénouement, il s’avère d’une lecture plaisante et est probablement le plus solide des trois titres inaugurant « Bad Wolf ». Que demander de plus ?

En somme, voici une collection qui, en guise de lancement, nous propose trois volumes d’une bonne facture générale. Sans rivaliser avec le meilleur de leurs homologues anglo-saxons, ils s’inscrivent néanmoins sans rougir dans les pas de Jean-Laurent Del Socorro ou Lionel Davoust, proposant une fantasy plus légère mais loin d’être ridicule – et surtout, en rien formatée. Prometteur.

Erwann PERCHOC

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