Il y a des romans, rares mais précieux, que l’on reçoit comme une gifle, des romans dont la lecture vous laisse hébétés, pantois. Le Sourire des crabes fait sans conteste partie de cette catégorie.
L’histoire est celle de Luc et Cath, frère et sœur, amants, fous à lier, désespérés, humains, monstrueux. Elle a été jugée incurable et bonne à interner par la médecine, lui ne peut envisager un seul instant la vie sans elle. Ensemble, ils vont se lancer dans une fuite en avant éperdue et meurtrière, exécutant tous ceux dont ils croiseront le chemin, hommes, femmes, enfants.
La première chose qui frappe à la lecture de ce roman, c’est sa violence, sidérante. Pierre Pelot décrit dans ses moindres détails l’errance folle de ses deux héros, sans jamais jeter le moindre voile pudique sur l’horreur de leurs actes. Cela donne des scènes de carnage prolongées jusqu’à l’insoutenable (l’attaque du restaurant, l’agonie interminable de Cath), d’autant plus éprouvantes que la plume de l’auteur y est d’une précision chirurgicale.
Mais aussi atroces soient les actes de Luc et Cath, Pelot se garde bien de les condamner – pas plus qu’il ne les absout. Il est avant tout là pour les accompagner, et permettre au lecteur de percevoir tout le désespoir et le malheur à l’origine de ces horreurs. Il n’en est que plus éprouvant de les voir au fil des pages se défaire de leurs dernières traces d’humanité comme d’une peau morte pour embrasser la monstruosité à laquelle ils se sont résignés.
Le Sourire des crabes est paru il y a bientôt quarante ans. Dans son portrait d’un état totalitaire maquillé en démocratie torpide et d’une société du spectacle recyclant les horreurs du monde en armes de distraction massive, le roman, trop caricatural et outrancier, trop marqué par l’imagerie de son époque, accuse un peu le poids des ans. En revanche, dans la description au plus près qu’il fait de ses héros, dans sa volonté affichée de donner un éclairage brut sur leur parcours et leurs actes, il n’a peut-être jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui.