A l'instar de Mirobole ou de Cambourakis, Asphalte fait partie de ces petites maisons ne craignant pas de défricher les territoires délaissés par les grosses structures éditoriales. Sans doute plus libre, et aussi plus curieux, l’éditeur parisien dispose d’un catalogue international digne d’intérêt, ne dédaignant pas la littérature interstitielle, raison pour laquelle quelques-uns de ses titres ont déjà été chroniqués ici même.
Le Système D relève de cette approche où se mêlent les ressorts de la science-fiction et du polar, la littérature et le cinéma. Parfait melting-pot d’influences diverses, le roman illustre idéalement la fusion des genres dans le creuset de la culture pulp. Un registre dans lequel Duane Swierczynski s’est illustré dans trois romans parus dans nos contrées chez Rivages « Noir » (A toute allure, The Blonde et Date limite).
New York dans un avenir si récent qu’il semble passé. La Grosse Pomme se relève difficilement des attentats et de la pandémie de grippe qui l’ont frappée. Dans un décor de fin du monde qui n’est pas sans rappeler celui de Bagdad après sa libération par l’Axe du Bien, nous suivons les pérégrinations de Dewey Decimal. Le bonhomme crèche dans la bibliothèque de la ville où il peut assouvir sa passion pour les livres. Il emprunte d’ailleurs son identité au système de nomenclature de l’institution, car de son passé, il ne conserve rien. Juste des bribes dont il n’est même pas sûr. En fait, Dewey est persuadé qu’il s’agit de faux souvenirs implantés par l’armée. Paranoïaque, hypocondriaque, amnésique, affligé d’obsessions lui pourrissant l’existence, tous ces maux ne l’empêchent pourtant pas d’effectuer régulièrement des missions pour le compte du procureur de la ville. Un type ingrat et autoritaire qui semble en savoir plus long que lui-même sur sa véritable identité. Chargé d’exécuter un malfrat ukrainien, Dewey est détourné de sa mission initiale par une série de fâcheux contretemps. Il y laisse sa rotule, sa santé, et manque d’y perdre la vie. Heureusement, il récupère aussi un Sig Sauer, une main momifiée, la droite, rencontre une beauté fatale et retrouve au final une certaine dignité.
Sous l’égide de Megan Abbott, bien connue des lecteurs de thrillers, la quatrième de couverture invoque les mânes de Philip K. Dick et Chester Himes. Elle aurait pu tout aussi bien convoquer les fantômes du 11 septembre 2001 et des diverses interventions militaires des Etats-Unis dans les Balkans et au Proche-Orient. Ces événements de l’Histoire récente, mais aussi la crainte d’une pandémie fatale, semblent condensés dans les attentats du 14 février dont les ravages servent de décor à la mission de Dewey. Soldat perdu, tueur impitoyable, pauvre type, on a beaucoup de difficultés à cerner la psychologie gigogne du personnage, et s’il faut en retenir un trait dominant, misons sur sa chance de pendu. Le bougre partage aussi bon nombre des caractéristiques du privé des romans noirs dont il subit par ailleurs toutes les avanies. Passage à tabac, femme fatale, procureur corrompu, flic bouffant à tous les râtelier et faux semblants, Nathan Larson ne lui épargne rien, se contentant de saupoudrer son intrigue d’une bonne dose de dinguerie, d’humour et de nonchalance. Dewey est à l’image d’un pays ayant perdu la boussole quelque part du côté du 11 septembre. Un pays en état de siège, taraudé par ses fantasmes. Heureusement, il dispose du Système pour échapper au marasme ambiant. Une méthode en valant une autre et qui a fait ses preuves.
Le Système D rejoint sans peine la longue liste des livres singuliers dont le charme apparaît proportionnel à l’agacement qu’il peut provoquer chez le lecteur refusant de lâcher prise. Et si ce premier roman paraît un tantinet décousu aux entournures, il fait montre de suffisamment d’inventivité et de punch pour mériter plus qu’un coup d’œil. On vous le dit, l’essayer, c’est l’adopter. Ça tombe bien, un deuxième épisode est disponible aux Etats-Unis, et le prochain doit paraître à l’automne.