On apprend dans le premier tome (cf. Bifrost n°110) qu’en 2173, le progrès scientifique est au point mort, ayant atteint une sorte d’acmé représentée par le plafond du théorème du Tao, de sorte que l’humanité ne peut plus vivre de temps intéressants – une ancienne malédiction chinoise taoïste dans l’idéal d’un monde immuable. L’idée que la connaissance ait une limite indépassable sans qu’il ait été mis fin à toute métaphysique semble des plus fumeuse ; le deuxième tome le confirmera. En attendant, l’humanité, occupée à récupérer des catastrophes climatiques et des grandes migrations du siècle passé, a mis les bouchées bien plus que doubles pour grimper fissa jusqu’au deuxième barreau de l’échelle de Kardashev, et maîtriser la technologie des trous noirs et d’une propulsion vermicave. Comme dans La Grande Porte de Fredrik Pohl, les astronefs, ici appelés « orcas », partent sans savoir pour où, mais l’univers entier semble leur être accessible. L’auteur use d’un vocabulaire issu du monde des mines (idée originale) où l’on fore l’espace-temps, avec le concept qu’il se présente comme les pelures d’un oignon. À quelle fin ? Officiellement, trouver de l’antimatière pour que les IA puissent accompagner les orcas dans leurs périples extragalactiques, l’infrastructure actuelle étant trop lourde pour être embarquée…
On se souvient que dans le premier volet, après le naufrage de l’Orca-7131 et le sauvetage de son équipage (Sara, et la mathématicienne géniale Slow), la singularité qui menaçait la Terre (dans cette trilogie, on ouvre et ferme des trous noirs comme on claque une porte, sans que la question de l’origine ni du devenir de la masse ne soit jamais posée) a été refermée. Ouf ! On retrouve donc ici nos deux héroïnes, saines et sauves, pour en apprendre davantage sur le monde élaboré par Pierre Raufast. Et sur Slow, bien entendu, qui a découvert le pot aux roses concernant le plafond du Tao, raison de son envoi dans les mines de sel d’espace-temps. La société apparaît alors comme ayant voulu une fois de plus mettre fin à l’Histoire, et en proie à des dissensions si violentes qu’elles pourraient bien la faire voler en éclats – ce qui arrivera vraisemblablement dans l’ultime tome –, société qui ne tient que grâce au saccage d’autres mondes. Des IA, les sofias, servent de bonnes d’enfants qu’elles éduquent et manipulent en fonction d’objectifs sociétaux définis par leur fabriquant et qui garantissent pour l’heure la paix sociale. Par ailleurs, dans le système de la Tortue, où Sara et Snow étaient naufragées, ces dernières ont découvert de l’antimatière ; soit possiblement la goutte à même de faire déborder ce vase qui n’est peut-être pas celui de Soissons, mais qui pourrait bien casser malgré tout. De l’antimatière, dont Raufast affirme qu’elle serait à même de faire sauter tout l’univers (ce dont on doute, mais on ne va pas chipoter autour de E=mc2)… Le tout emballé de diverses péripéties, tant pour revenir que repartir.
Le premier tome m’avait semblé assez calamiteux. Le deuxième a plus ou moins corrigé le tir, mais il faudra attendre la conclusion pour porter un jugement définitif sur cette trilogie. On peut toutefois douter que cette dernière parvienne à faire d’un baudet un pur-sang.