Tout commence comme un des carnets de voyage de Francis Valéry disponibles sur internet. L'auteur se met en scène dans son quotidien1 et, en l'occurrence, il raconte un voyage à Paris qu'il effectue afin de rencontrer son éditeur, Gilles Dumay. Mais tandis qu'il marche pour aller à son rendez-vous, une explosion le fauche et il tombe dans le coma. Exit Francis Valéry : le narrateur qui rentre en scène s'appelle Jean-Hubert de la Thibaudière et débute son récit par… une visite chez son éditeur, Gilles Dumaysberg… Le roman va dès lors suivre les pas de cet écrivain pour la jeunesse qui, peu à peu, se rend compte de son véritable statut… Sur fond de crimes, à commencer par celui de Dumaysberg tué en pleine action (besognage de stagiaire…), JH rencontrera d'autres auteurs qui, comme lui, sont en situation d'incomplétude, des rencontres qui vont l'aider à comprendre le rapport qu'il entretient avec ces derniers et le mystérieux tueur.
Entrecoupé de passages biographiques et d'un récit dans le récit, Le Talent assassiné est un roman riche. Riche par sa forme, d'abord, assez libre — d'aucuns diront post-moderne —, et qui mêle plusieurs récits enchâssés dont toutes les clés ne sont pas forcément livrées. L'écriture change en fonction des narrateurs et se fait volontiers plus vive, drôle voire non-sensique lorsque JH est aux commandes. Ceci n'est pas gratuit et s'explique par les circonstances qui président à la création de l'histoire que vit de la Thibaudière.
Riche ensuite par les thèmes abordés. Valéry part d'éléments biographiques très concrets pour dériver, par le biais d'une intrigue fine mais loin d'être très originale, vers des sujets qui lui tiennent à cœur. L'écriture, le milieu de l'édition, l'art, les femmes, le Rock n' Roll, le cul, l'enfance, Jim Morrison et même Roswell sont ainsi abordés d'une façon naturelle et personnelle. Quant aux divers clins d'œil qui émaillent le récit, gageons qu'ils feront sans doute sourire les habitués du fandom et de l'édition parisienne…
Difficile, donc, de classer pareil ouvrage. On est dans du mainstream mâtiné de fantastique, alors que l'histoire même emprunte ici au polar, là au porno. Fervent défenseur de ce qu'il nomme « Fusion » dans son guide Passeport pour les étoiles (Folio "SF"), Valéry livre ici un modèle du genre qui, s'il n'est pas un manifeste, demeure un bon exemple de ce qu'il est possible de faire en mêlant sans restriction différents types de littératures et d'écritures. Malgré quelques scènes qui font perdre de l'intérêt à l'ensemble, notamment les histoires d'amours du milieu du bouquin, on prend plaisir à s'égarer dans la (les) tête(s) d'un auteur qui se livre avec largesse. À lire en tous cas.
Notes :
1. Lire « Le Talent assassiné : annexe temporaire », texte inédit de Francis Valéry publié dans le présent numéro (p.. 158), pour se rendre compte de la manière particulière de cet auteur sur cet ouvrage. (NDRC)