Jean HEGLAND
GALLMEISTER
352pp - 23,90 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Dans la forêt se suffisait à lui-même, sa fin ouverte convenant idéalement au propos du roman qui a inspiré par la suite une adaptation au cinéma et une bande dessinée parue aux éditions Sarbacane. Jean Hegland choisit d’y revenir, renouant avec l’histoire de Nell et Eva. Réfugiées au cœur de la forêt de séquoias, les deux sœurs ont brûlé la maison familiale, optant pour une existence au plus près de la nature. Walden n’est pas très loin, même si les conditions de vie sont plus dures, les contraignant à mettre leur survie au cœur des préoccupations quotidiennes. Après avoir investi une souche, transformée en capane, Eva a donné naissance à Burl, l’élevant avec sa sœur dans le respect de la forêt, de ses plantes et de ses animaux, tout en agrémentant les longues veillées d’histoires puisées dans Bilbo le Hobbit ou plus simplement inventées au gré de ses souvenirs de lectrice. Quinze années plus tard, l’adolescent se pose de plus en plus de questions sur le monde d’avant. Il aimerait savoir ce qu’il est advenu des autres survivants après l’effondrement de la technologie et de la civilisation, d’autant plus vivement qu’il aperçoit parfois les lueurs de feux dans le lointain. Le monde d’après a-t-il évolué comme le langage dont il use avec ses mères ? Ou doit-il s’en méfier et le fuir comme elles le préconisent ?
Redite ? Prolongement ? On s’interroge souvent à la lecture d’une suite, craignant la déception lorsqu’on a été bouleversé ou happé par son prédécesseur. Dans la forêt était le roman d’une chute, inexorable, un basculement vers autre chose. Il était le roman d’une redécouverte, celle d’une vie plus proche de la nature, loin de la menace masculine. Le Temps d’après est celui des successeurs, des enfants nés après l’effondrement ou trop jeunes pour s’en rappeler. Un monde violent, incertain, où il faut s’accommoder des rancœurs et d’une nature majestueuse mais indifférente aux drames humains. Dans une langue imagée, habilement restituée par la traductrice Josette Chicheportiche, Jean Hegland poursuit l’histoire d’Eva et Nell, via le regard candide et les mots de leurs fils Burl. On renoue ainsi avec l’écriture de l’autrice, attachée au ressenti et non au ressentiment. Un point de vue salutaire, qui nous interpelle sur notre rapport à la nature et à l’autre, mais qui apparaît aussi comme un remède contre l’individualisme. Si on ressort émerveillé par la lecture de Le Temps d’après, on est également un tantinet frustré par un dénouement bâclé qui a certes de quoi satisfaire les amateurs de littérature psychologique, mais sans doute moins ceux appréciant les visions postapocalyptiques. Avis aux amateurs.