Pour les villes-monstres comme Délicité, une fin du monde en rouge et noir approche. Elle a pour nom Palanquine, sorte de naine brune qui fonce vers le système solaire et une Terre déjà bien mal en point sans ça. Lockerbie, génie inventeur du saut temporel, représente peut-être l’espoir. Mais celui-ci pourrait bien être frelaté et n’ajouter que catastrophes à la catastrophe à cause des régressions qui effacent petit à petit les technologies postérieures à 1943, but de la première tentative de rectification temporelle sensées au contraire faire gagner les vingt ans de progrès nécessaires pour échapper à Palanquine. Mais toutes les missions des rectifieurs semblent vouées à l’échec, comme si la ligne temporelle alternative créée par la première tentative tenait à les contrarier afin préserver sa propre existence…
Dans cet univers de cités géantes recouvertes en permanence d’une chape de suie telle qu’elles restent plongées dans la pénombre même à la méridienne, les brumes sombres préservent les populations de la vue de Palanquine la Rouge, qui approche de plus en plus et dont le sanglant éclat rend fou de désespoir qui le contemple. C’est ce désespoir abyssal qui conduit les principaux protagonistes de cette sombre histoire que sont John Lincker, sa compagne Eleanor Rigby Wayne, et Sarah Quarry, à l’institut dirigé par Lockerbie, qui les recrute comme rectifieurs.
Si l’on retrouve dans ce time opera l’un de ces univers très sombres qui sont la marque de Thierry Di Rollo, la chute est moins rude et pessimiste que dans ses œuvres antérieures. On y perd un peu de cet effet coup de poing qui vous laissait le souffle court, un genou à terre. Mais on a toujours cette écriture au cordeau, tendue comme un arc, précise, sans concession ni fioriture, de cette pureté glaciale qui n’est pas sans rappeler celle de James Ellroy, où l’on sent chaque ligne vibrer d’énergie contenue.
La lecture du Temps de Palanquine est un brin moins éprouvante que celle des premiers romans de notre homme, on l’a dit. Qu’on se rassure, toutefois : on n’en reste pas moins à mille millions de lieues des bisounours. Thierry Di Rollo a peut-être mis de l’eau dans son vin, mais c’est de l’eau de vie qu’il y a versé. Il a intégré à ce roman une pincée d’éléments de sa nouvelle « Quelques grains de riz » (in Cendres, ActuSF), notamment la chanson des Beatles Eleanor Rigby, dont il est un grand fan. Et si Le Temps de Palanquine est moins intransigeant, d’une noirceur moins absolue que ce qu’on a pu lire naguère sous sa plume, ça reste de la vraie hardboiled SF d’une rare puissance. Thierry Di Rollo n’est pas inscrit au club des levymusso lancés dans la quête du Graal du plus petit dénominateur commun d’un maximum de lecteurs potentiels. Il écrit ce qu’il a à écrire sans faire de concession, à rien ni personne. Les livres de Di Rollo ont leurs places réservées entre les plus durs et noirs de Pierre Pelot (Noires Racines) et de Claude Ecken (Enfer Clos). On aime ce qu’écrit Di Rollo, si on en supporte le choc, ou on déteste dans le cas contraire, mais il ne laisse personne indifférent. C’est une expérience littéraire qu’il faut faire au moins une fois, pour voir et savoir… Et Le Temps de Palanquine une excellente occasion d’y aller voir pour qui ne connait pas encore l’auteur. Ceux qui aiment ce qu’écrit Di Rollo ne s’en priveront pas, quant aux autres… eh bien, ils passeront leur chemin… Le nom de Thierry Di Rollo n’est pas le premier nom qui vienne à l’esprit lorsque l’on cite les meilleurs auteurs de la francophonie, et c’est un grand tort. Toute sa production, oui, toute, mérite que l’on s’y attarde, et elle s’enrichit ici d’un nouvel opus, un roman qui restera comme l’un des livres importants de l’année dans nos domaines de prédilections.