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Les critiques de Bifrost

Le Temps des sorcières

Alix E. HARROW
HACHETTE
624pp - 28,00 €

Bifrost n° 109

Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109

Le Temps des Sorcières est l’histoire des sœurs Eastwood : Bella, Agnès et Genièvre, trois gamines qui ont grandi ensemble dans l’Amérique de la fin du XIXe siècle, loin de la ville, dans l’absence d’une mère morte en couches, la présence d’un père brutal, et la bienveillance d’une grand-mère un peu sorcière qui les a initiées à la magie. Les années passant et la violence paternelle ne connaissant ni trêve ni limite, les trois sœurs vont l’une après l’autre fuir la maison familiale, brisant ainsi les liens qui les unissaient jusqu’alors. Sans nouvelles les unes des autres, elles se retrouvent pourtant des années plus tard, et par le plus grand des hasards, à New Salem, précisément au moment où un phénomène surnaturel sème la panique en ville. Pour la pieuse population locale, il ne peut s’agir que d’une manifestation maléfique. Les sœurs Eastwood y voient plutôt l’opportunité de rendre aux femmes un pouvoir qui leur a été trop longtemps confisqué.

Le Temps des sorcières est un roman qui entretient un bon nombre de points communs avec son enthousiasmant prédécesseur, Les Dix mille Portes de January (cf. Bifrost n° 105), à commencer par son contexte historique. Mais Alix E. Harrow insiste cette fois davantage encore sur les luttes sociales de l’époque, le mouvement des suffragettes réclamant le droit de vote, les conditions de travail iniques des ouvrières et, plus généralement, le peu de place accordé aux femmes dans cette société en plein essor. La sorcellerie, telle que la conçoit l’autrice, se situe aux antipodes de l’image négative que les fictions ont longtemps véhiculée. Elle est non seulement une source d’émancipation et de (contre) pouvoir, mais avant tout un savoir et une culture qu’il convient de préserver et de transmettre de génération en génération, à travers les livres, les chansons, la tradition orale, toutes ces histoires qui prolifèrent au sein du récit (formules magiques aux airs de comptines, variantes de contes célèbres, ici signées Charlotte Perrault ou les sœurs Grimm). La sorcellerie y est l’exacte opposée de l’ignorance et de la barbarie, de la force brutale à laquelle les sœurs Eastwood ont toujours dû faire face, depuis leur père jusqu’aux autorités de New Salem.

Et puis, dans ce roman comme dans le précédent, il y a cette écriture, toujours au plus près des émotions de ses personnages, de leurs désirs, leurs peurs et leurs espoirs. Sans la plume à fleur de peau d’Alix E. Harrow, les sœurs Eastwood seraient restées de mornes stéréotypes (l’érudite et timide Bella, la craintive et maternelle Agnès, la jeune et rebelle Genièvre). Au contraire, on les découvre au fil du récit dans toute leur complexité.

Le Temps des sorcières n’a sans doute pas la fougue aventurière des Dix mille portes de January. Le parcours de ses héroïnes semble tracé d’avance et, malgré les nombreuses embûches semées sur leur chemin, il ne déviera guère jusqu’à ce qu’elles aient atteint leur objectif final. Le roman n’en est pas moins réussi et doté d’une identité propre pour autant, à la fois plaidoyer féministe résolument moderne, ode à la fiction sous toutes ses formes et émouvant portrait de femmes combatives et fortes. Alix E. Harrow confirme ainsi qu’elle est l’une des voix majeures de la fantasy actuelle.

Philippe BOULIER

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