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Les critiques de Bifrost

Le Temps du rêve

Le Temps du rêve

Norman SPINRAD
FAYARD
224pp - 19,00 €

Bifrost n° 70

Critique parue en avril 2013 dans Bifrost n° 70

DreammasterTM est une société à la croisée des neurosciences et des jeux vidéo qui propose des rêves sur mesure, en fonction du client et de ses envies. D’entrée de jeu, le programme de démonstration du Temps de votre rêveTM invite à coiffer une résille et à insérer la puce de réglage sur les fréquences de ses zones sensorielles cérébrales. La suite est contée à la deuxième personne du singulier, alternant le sexe selon le scénario, à la façon d’un Livre dont vous êtes le héros. Elle met en scène un mari modèle ou une étudiante au bal de fin d’année se positionnant en concurrente pour attirer l’attention du prince charmant de la soirée. Des rêves formatés pour le moins communs ou insipides… Il est possible d’en choisir de plus élaborés dans le catalogue de La Caravane des rêves, qui relèvent du cinéma : dans un univers de science-fiction et de fantasy mêlés, le rêveur affronte en duel le redoutable Magus Majoris ou vainc un dragon pour gagner les faveurs d’une princesse brûlante de désir. Ces oniropuces sont classées TP (tout public), - 12 et - 18, le niveau Sans Restriction des situations les plus extrêmes n’étant pas officiellement disponible. Mais il est possible de télécharger auprès de Pirates du Temps des rêves, à ses risques et périls, des programmes plus âpres, pas toujours dénués de cauchemars traumatisants ni de vers ou de virus. Au fil des situations rêvées, le rêveur se trouve en toujours plus fâcheuse posture, jusqu’à finir coincé dans des impasses oniriques, poursuivi par un blob infâme ou jeté dans une fosse de cadavres, prêt à être écrasé par un poids géant.

On l’a compris, la progression se calque sur l’histoire du Net, avec sa succession d’antivirus et de chevaux de Troie, dans une spirale sans fin. Les passages d’un rêve à l’autre finissant par lasser invitent à méditer sur les addictions numériques qui poussent à préférer des rêves uniformisés à sa propre créativité, au risque d’y laisser sa santé mentale. Nul commentaire ne se rajoute aux scènes : elles sont délivrées brut de décoffrage jusqu’à la fin, ce qui fait l’originalité de l’exercice mais définit aussi ses limites. Malgré un suspense apparu dans le dernier tiers, ce court roman aurait gagné à présenter des rêves plus concis qui auraient frappé par leur densité.

A signaler en exergue l’émouvant hommage de Norman Spinrad à ses traducteurs, notamment à Roland C. Wagner dont il fut le père symbolique, en quelque sorte rêvé.

Claude ECKEN

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