Roland C. WAGNER
L'ATALANTE
382pp - 19,90 €
Critique parue en juillet 2005 dans Bifrost n° 39
La Terre, surpeuplée, s'est tournée vers la colonisation d'autres planètes par le biais de voyages « aller simple » en hibernation cryogénique qui s'étalent sur plusieurs siècles — d'où l'émergence de colonies humaines qui, petit à petit, se détachent de la planète-mère pour devenir complètement étrangères car trop éloignées de l'influence terrestre… Bien sûr, la Terre essaye de venir en aide à ses colonies, mais plus la planète est distante, plus elle est « oubliée », livrée à elle-même, notamment du point de vue des ressources scientifiques et technologiques. Les voyages interstellaires sont tellement lents que seules des IA à base de cerveaux d'animaux sont capables de les effectuer d'un bout à l'autre en toute conscience. Cheval Fou est une de ces IA, pilote enchâssé dans l'astronef Crome Syrcus. Outre le ravitaillement pour une de ses lointaines planètes, située à plus de cinquante années-lumière de la Terre, Cheval Fou transporte dans ses flans Ab Skhy, agent des « Porteurs de qualité », l'autorité qui gère le système solaire et ses colonies. Une autorité assez inquiète pour envoyer un de ses agents sur le terrain. Car Ab Skhy doit enquêter sur une nouvelle alarmante : la sphère d'influence terrestre est petit à petit grignotée par une organisation mystérieuse, les « Charlatans », possiblement une race extraterrestre, qui marque sa présence par un bond technologique important sur des planètes pour certaines à peine sorties de l'âge médiéval. Les Charlatans sont-ils hostiles à l'espèce humaine ? L'invasion ou pire, l'extinction, guettent-elles le système solaire ? Sautant de monde en monde à la poursuite de cette entité insaisissable au cours d'un voyage fabuleux, Ab Skhy va découvrir les réponses à toutes ces questions, et bien davantage encore…
Inutile de revenir sur la carrière de Roland C. Wagner. Vieux routard de la S-F française, c'est en professionnel chevronné de l'écriture qu'il nous livre ici un roman qui remplit haut la main la charte du space opera. Oui, certes, tous les tropes sont respectés : technologie, nombre de planètes visitées, diversités des races extraterrestres rencontrées, voyages dans l'espace, bagarres et poursuites, rebondissements et coups fourrés. Même l'équipe dont s'entoure le héros respecte les quotas homme/femme, humain/extraterrestre, couleur de peau. Tout est carré, net, sans bavure. C'est bien là le problème. Car à vouloir à tout prix faire un space op' techniquement parfait, Wagner en oublie quelque peu le côté émotionnel. Si on gratte la surface des mots, on s'aperçoit qu'il n'y a pas grand-chose en dessous, rien qui retienne l'attention, rien qui suscite véritablement un intérêt plus que poli. Une enfilade de phrases certes non dépourvues de sens, mais dégagées de tout pathos, de tout ce qui pourrait éveiller un écho dans le cœur du lecteur, qui pourrait le faire vibrer, lui donner envie de s'investir, de se projeter dans les personnages ou l'action. Sans grande saveur, inodore et incolore, Le Temps du voyage s'oublie aussi vite qu'il se lit — ce qui ne signifie pas qu'il ne se lise pas avec plaisir. On en vient à regretter l'innocence délicate et enthousiaste d'un Tem, ou la fougue et le cynisme de La Saison de la sorcière. Pour la détente et rien de plus, donc, et c'est un peu dommage…