Christophe CARPENTIER
P.O.L.
688pp - 23,90 €
Critique parue en avril 2017 dans Bifrost n° 86
Telle la plus baroque et la plus addictive des séries télévisées – l’un des très nombreux « mauvais genres » auquel il empruntait –, Le Mur de Planck se clôturait par un cliffhanger aussi fascinant qu’excitant. Sublimées en une myriade d’atomes par leurs véritables maîtresses – les Particules Baryoniques, infinitésimales poussières de matière mais à la puissance paradivine –, la Terre et l’humanité étaient projetées au-delà du mur théorisé par le physicien Max Planck. C’est-à-dire en un temps et un espace – si tant est que pareils concepts aient encore cours, une fois passée la limite planckienne – qui vit la naissance de l’univers et desquels la science ne sait pour l’heure rien. Parmi les milliards d’individus ainsi emportés aux sources de la création se trouvait Travis Bogen, agent du FBI de son état.
Celui qui était le héros du Mur de Planck est aussi celui de sa suite, Le Temps imaginaire. Entraîné par son odyssée génétique dans « une métaenquête qui dépasse en complexité toutes celles [qu’il a] eu à résoudre », l’agent spécial va peu à peu découvrir dans les contrées outre-planckiennes la présence d’une « puissance hors du commun » de laquelle découle toute chose. Une force primordiale que Le Temps imaginaire se garde pourtant d’expliciter. Car au terme des presque 700 pages que compte le roman, l’énigme demeure entière. Sans doute lacunaires, les investigations du G-Man Bogen dessinent cependant un faisceau d’indices amenant irrésistiblement à tenter de cerner la nature du pouvoir fondateur.
Et si ce dernier était l’imaginaire ? C’est ce que pourrait suggérer – hormis le titre programmatique du livre – la substance même de l’univers fractal se dissimulant derrière le limes planckien. Agi par la puissance première telle une figure vidéoludique, Bogen se perd en effet dans un abyssal emboîtement d’univers ostensiblement fictifs : les uns inspirés par la pop-culture contemporaine – cette dernière nourrit autant Le Temps imaginaire que Le Mur de Planck –, les autres par les légendes les plus anciennes. S’ouvrant sur une Terre future où triomphe un totalitarisme transhumaniste, Le Temps imaginaire se clôt dans un mégapanthéon réunissant tout ce que l’humanité a compté de déesses, dieux et prophètes. Entre cet alpha science-fictionnel et cet oméga mythologique, Bogen aura connu les horreurs extrêmes d’une dystopie gore et sadienne, puis chevauché un dragon lors d’un épisode de fantasy héroïque et ironique avant de jouer au shérif médium dans une déclinaison distanciée d’épisode des X-Files se muant bientôt en relecture iconoclaste de l’Odyssée ! Une marqueterie générique à laquelle Christophe Carpentier combine encore ses propres créations romanesques, puisque Le Temps imaginaire inclut des références à deux de ses livres précédents : Chaosmos et La Permanence des rêves (P.O.L.).
En composant cette balade de Bogen à travers un monde aux fondements duquel se trouvent – entre autres démiurges – George A. Romero, J.R.R. Tolkien, Chris Carter ou Homère, Christophe Carpentier semble dévoiler l’impérieuse force d’engendrement de l’imaginaire, dans un geste romanesque saisissant. Car la fiction hautement spéculative qu’est Le Temps imaginaire emporte autant par son vertige réflexif que par sa furia narrative.