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Les critiques de Bifrost

Le Trait d'union des mondes

Le Trait d'union des mondes

Jérôme CAMUT
LIVRE DE POCHE
702pp - 7,60 €

Bifrost n° 28

Critique parue en octobre 2002 dans Bifrost n° 28

520 pages écrites petit. Premier volume d'une trilogie annoncée. Une ampleur peu fréquente dans notre imaginaire hexagonal. La couverture est particulièrement hideuse, ce qui, par contre, est fort fréquent. Le roman n'est pas estampillé S-F. Mais cela en est-il ? Peut-être bien…

L'ouvrage n'est pas facile à classer. Ni thriller ni mainstream, ni S-F ni fable mystique. Un peu de tout ça… Jérôme Camut a délaissé les effets de manches du thriller tout en en conservant la construction. Il a sabré à la base toute dimension tragique et laissé tomber l'issue dramatique avec la fatalité d'une pierre. Ça aurait pu être un roman de Michael Crichton et c'est tout autre chose.

À l'aube du XVIe siècle, dans une France renaissante où sévit l'Inquisition, Malhorne ressuscite pour la première fois. Faut-il parler de métempsycose ou de transmigration ? La conscience — ou faut-il dire l'âme — de notre bonhomme qui en avait alors fort peu se transfère dans le corps d'un nouveau-né où elle reste en stand-by jusqu'à ce qu'il perde son pucelage. Un bon moyen que l'auteur a trouvé pour esquiver les problèmes générés par une conscience adulte dans le corps d'un petit enfant.

Après être bêtement mort sur le champ de bataille, il sera traumatisé par sa première résurrection. Il jettera ensuite à la Macarine les bases d'une famille qui le suivra de génération en génération avant de partir sur le chemin de St Jacques, puis Lisbonne, et de traverser l'Atlantique pour s'échouer sur les côtes du Brésil et y mourir d'une flèche au curare. Revenir comme chamane et conduire sa tribu au fond de la sylve pour échapper aux Blancs ; franchir les Andes pour défier le Pacifique en pirogue et y mourir. Revenir esclave africain, traverser l'océan Indien et mourir. Revenir Japonais et traverser une Inde en proie à la peste et gagner le Tibet pour y recevoir l'enseignement d'un lama. Devenu riche anglais, retrouver les Macare, faire fortune en Louisiane et mourir sous la guillotine durant la révolution française et renaître mongolien, puis Egyptien. Rencontrer Van Gogh, l'aventure coloniale, les camps de la mort et le goulag… Au cours de toutes ses vies, Malhorne a marqué le monde d'un heptagone de statues identiques…

Franklin Adamov en a découvert une, la seconde, façonnée en Amazonie, et la mystérieuse fondation Prométhée ne tarde pas à compléter la collection. À la fin du tome 1, on ne sait pas pourquoi Denis Craig, le magnat de l'armement, a créé cette fondation, comme s'il subodorait l'existence de Malhorne, lequel semble entretenir des liens mystiques avec les descendants de ceux qu'il a rencontrés ici ou là.

Livre de son époque, Malhorne ne véhicule tout au plus qu'une problématique résiduelle et relève du divertissement. On y retrouve l'idée, présente dans le film Stigmata ou le Jésus Vidéo d'Andreas Eschbach, que, pour préserver la foi, l'Église se doit de combattre tout ce qui pourrait établir sa « mystique » dans les faits puisqu'elle perdrait dès lors son statut de mystère.

Ce premier tome est avant tout une esquisse, encore floue et amenée à acquérir une dimension plus large. Tout apparaît lié en dépit de nombreux fils encore épars. L'aspect narratif domine le roman, avec, notamment, le récit des vies antérieures de Malhorne. Malgré quelques détails douteux et certaines longueurs — on a connu bien pire sur des livres plus courts — Malhorne est somme toute un roman prenant. La force de Jérôme Camut réside dans ses personnages. Non qu'il leur confère une épaisseur psychologique hors du commun, mais il sait leur donner du corps, du jus, de la saveur. Même les troisièmes rôles que Malhorne a croisés au cours de ses vies ont leur empreinte, parfois forte. Certains arrivent à être touchants. Et pourtant, souvent on frôle le cliché. Mais ça fonctionne. Paradoxalement, c'est un roman très professionnel tout en restant personnel. Comme si la volonté de fabriquer un best-seller n'était pas parvenue à gommer la patte de l'auteur.

Pas speed mais bien mené, pas prise de tête pour un rond, idéal pour la plage…

Jean-Pierre LION

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